Règles des 3-6-9-12 ? Écrans passifs ou interactifs ? Pas si simple !

Les réflexions sur les écrans et les enfants abondent : écrits scientifiques, professionnels, articles de presse, productions émanant du milieu associatif, etc. Pour autant, nous ne savons pas toujours tirer parti des connaissances accumulées au fil des ans. Un clivage s’opère entre chercheurs et spécialistes et gagne le grand public. De leur côté, les journalistes de la presse écrite aussi bien que des médias audiovisuels ont tendance à s’alimenter auprès des personnalités les plus médiatisées laissant dans l’ombre tout un pan de la recherche.[1] Or, la société civile aurait grand besoin d’avoir accès à des connaissances diversifiées et qui tiennent compte de la complexité à l’œuvre.

Tendance à la simplification

Une tendance à la simplification se décèle notamment dans la diffusion de pensées binaires : il y aurait ainsi des écrans passifs et des écrans interactifs, une  culture du livre et une culture numérique, des avantages et des inconvénients aux écrans, etc. Cette posture se retrouve également dans la tentation de délivrer des règles de conduite censées résoudre les problèmes liés aux usages des écrans chez les enfants et les adolescents. Associée à une éducation aux médias dès le plus jeune âge ainsi qu’à une éducation à l’autorégulation des usages, les écrans ne devraient plus être considérés comme problématiques. Pourtant, force est de constater que la réalité est toute autre.

Écrans passifs, écrans interactifs : un partage erroné

Considérons tout d’abord que les repères d’âges proposés reposent sur une césure incertaine : certains écrans seraient passifs quand d’autres seraient interactifs. Au-delà du jugement de valeur sous-tendu par ce partage (le passif serait du côté du négatif, l’interactif du côté du positif), il est à noter qu’aucun argument solide ne vient l’étayer.[4] Il est fort étonnant de prêter aux écrans ces caractéristiques, car ils ne sont pas « naturellement » passifs ou interactifs. Ce sont leurs contenus, leurs fonctionnalités, leurs modalités de fonctionnement qui sont en cause. Par ailleurs, si l’écran de télévision est encore très présent dans les foyers, les enfants sont de plus en plus amenés à regarder les dessins animés sur les tablettes. Non seulement cette division ne tient pas, mais elle est trompeuse, car elle laisse entrevoir des bénéfices plus grands des écrans dits interactifs en oblitérant les stratégies de captation de l’attention qui s’y déploient et conduisent insidieusement à des usages excessifs.

Certains écrans à certains âges ?

La règle des 3-6-9-12 a été élaborée en 2013[2], suite à la publication de l’Avis de l’Académie des sciences[3]. Elle a le mérite de fonctionner comme une alerte ou une « balise » auprès des parents en leur fournissant quelques repères. Néanmoins elle nécessite d’être interrogée.

Il est certes nécessaire et important de présenter les écrans aux enfants de manière pertinente et adaptée. Dans ce sens, aussi séduisants qu’ils puissent paraître, les repères d’âge précis présentent des limites.

Sans doute il y a-t-il une période de la vie au cours de laquelle il est grandement préférable de s’abstenir de tout écran. De la naissance à environ 3 ans aucun écran n’est adapté : télévision, tablette, smartphone, ordinateur, écartent le tout-petit de ses expériences sensorimotrices et ne sont aucunement adaptés, incapable qu’il est, à cet âge, de faire la différence entre la représentation et le représenté, entre le monde réel en 3 dimensions et le monde de l’image en 2 dimensions. Quels qu’ils soient, les écrans nécessitent par ailleurs des habiletés optiques qui ne s’acquièrent que très progressivement.

Au-delà de 3 ans, les écrans ne sont pas nécessaires. Plus l’enfant en sera éloigné, plus il aura l’opportunité de développer tout son potentiel psychomoteur, cognitif, langagier, etc. Ensuite, nos recherches démontrent que l’environnement adulte de l’enfant est déterminant. C’est la raison pour laquelle il est difficile d’affirmer qu’il existe un âge donné pour un matériel numérique précis. Pourquoi, par exemple, « pas de console de jeu avant 6 ans » si le jeu est adapté, si l’enfant a les compétences requises pour le comprendre, si le temps est limité et s’il est accompagné par un adulte ?

Les origines sociales et culturelles des parents, leur capacité à proposer ou non des alternatives aux écrans, leur aptitude ou non au dialogue, la faculté ou non de ceux-ci à étayer les apprentissages autour du langage, de la découverte du monde, sont autant de critères déterminants pour l’entrée progressive des enfants dans l’univers complexe de l’internet. Le contexte familial a aussi son importance. Beaucoup de parents disent leur difficulté à appliquer cette règle des 3, 6, 9, 12 dans le cadre d’une fratrie par exemple. Dans ces conditions une même règle peut-elle s’appliquer de manière indifférenciée à toutes les familles et à tous les enfants ? Enfin, la règle dont il est question ici a-t-elle été testée avant sa diffusion massive ? Ne serait-il pas temps de l’évaluer en effectuant un bilan rigoureux de son degré d’efficacité auprès des parents et de leurs enfants ?

L’éducation à l’utilisation des écrans oui, mais ce n’est pas suffisant

Malgré le recul des années, l’éducation aux médias et à l‘information (EMI) est loin d’être suffisante. Il serait temps qu’elle se développe de manière beaucoup plus massive et plus systématique dans l’enseignement. Les pouvoirs publics et politiques ont là un rôle important à jouer. Il en va de la capacité des jeunes à être en mesure d’exercer pleinement leur citoyenneté dans le présent et dans le futur.

Mais il est intellectuellement malhonnête de n’envisager les remèdes à un mésusage des écrans que sur le versant du citoyen-consommateur. La responsabilité des grandes entreprises internationales présentes sur le marché du numérique est énorme. Les stratégies marketing, les enjeux associés à la récolte des données personnelles, les pratiques de captation de l’attention concourent puissamment à contrecarrer les démarches pourtant positives de bons usages des écrans. En cela le rapport de force est extrêmement déséquilibré.

Œuvrer pour le bien-être des enfants et des adolescents dans une société connectée n’est pas du seul ressort des parents, des éducateurs, des soignants… Les acteurs économiques et les décideurs politiques doivent également assumer leur part de responsabilité.


[1] Ce qui n’est pas nouveau. Voir à ce sujet BATON-HERVE Élisabeth : Les enfants téléspectateurs. Programmes, discoures, représentations, l’Harmatan 2000.

[2] Serge Tisseron, Grandir avec les écrans. La règle 3-6-3-9-12, Yakapa avril 2013

[3] Avis de l’Académie des sciences, L’enfant et les écrans, Le Pommier, janvier 2013

[4] Voir à ce sujet « Écrans interactifs, écrans non interactifs, une césure trompeuse », in Grandir avec les écrans ? Ce qu’en pensent les professionnels de l’enfance, pp. 278-286, érès, 2020.

[5] Grandir avec les écrans ? Ce qu’en pensent les professionnels de l’enfance, érès, 2020.

Réduire les écrans, 10 jours pour changer, Nathan, 2021.

Les jeunes et les médias au Sénégal : rencontres (1)

Tandis que certains construisent des murs, activons-nous à ériger des ponts ! Les échanges citoyens à l’international et les relations interculturelles en constituent des exemples bénéfiques pour tous. Quant aux médias et aux technologies numériques, reconnaissons qu’elles ne connaissent pas de frontières.

Lycée Sérigne Mamadou Sérigne Mamadou Léna Diop photo.doc

Lycée Sérigne Mamadou Lena Diop – Ngaparou – SÉNÉGAL

Au Sénégal la radio et la télévision demeurent les médias les plus présents : 8 ménages sur 10 sont équipés d’une télévision. Comme ailleurs, les chaînes commerciales diffusent leurs émissions sponsorisées, supports de choix pour le placement de produits. Ces chaînes se tournent également vers les jeunes téléspectateurs à travers des émissions qui suscitent la colère de certains enseignants à l’exemple de Sen petit Gallé. Par ailleurs la télévision est parfois regardée tardivement par des enfants qui se lèvent très tôt pour aller à l’école, c’est le constat que font des professeurs de collège dont les élèves présentent des signes de fatigue.

Lycee Ngaparou

Lycée Sérigne Mamadou Lena Diop – Ngaparou – SÉNÉGAL

« Nos enfants sont, chaque jour, exposés aux contenus et à l’influence de la télévision, de jeux préformatés sur leurs tablettes, de réseaux sociaux tels que Facebook ou Skype… Sans contrôle, ni préparation, ni encadrement, encore moins de mise en lien avec nos propres valeurs » lit-on sur le site de Allo Dakar

Le taux de pénétration d’internet au Sénégal est de 37 % en milieu urbain et de 24 % en zone rurale. Néanmoins l’usage du smartphone semble se répandre de plus en plus, aussi bien chez les jeunes que chez les moins jeunes. Les connexions, lorsqu’elles ne sont pas possibles au domicile, se font dans la rue près des habitations qui disposent du wifi. C’est ainsi que l’on peut voir des petits groupes de jeunes s’agglutiner au pied de maisons, dont les habitants acceptent de partager leur connexion.

Des interventions auprès de collégiens à Dakar et à Ngaparou et les échanges qu’elles ont suscités témoignent de l’importance du téléphone portable chez ces jeunes et de l’usage des réseaux sociaux dans leur quotidien.

Les collégiens à qui l’on propose une information dans une perspective d’éducation aux médias et à l’information, se montrent très attentifs, intéressés et désireux de comprendre.


Collège CEM 19 Dakar photo 1

Collège CEM U19 – Dakar – Sénégal

Collège CEM 19 Dakar photo 3
Collège CEM U19 – Dakar – Sénégal

Le développement de l’éducation aux médias et à l’information (EMI) au Sénégal est un enjeu d’autant plus important que le taux d’analphabétisme et illettrisme touche 65 % de la population[1].

Ces nouvelles réalités ont incité le CNRA (homologue du CSA français) à se pencher sur la question en réalisant un sondage et en convoquant une journée scientifique[2]. L’éducation aux médias est désormais pensée par le CNRA comme une nécessité « pour apprendre à lire les médias, comprendre la société de l’information… »[3]

[1] Allo Dakar, Sénégal : les TV dépriment les enfants !

[2] CNRA, Protection du jeune public, Rapport annuel 2014, pp. 78-87.

[3] CNRA, Rapport annuel 2015.

L’éducation aux médias et à l’information : un enjeu de démocratie

Suite aux attentats de Paris, Divina Frau-Meigs, professeur des sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3, revient sur la nécessaire mise en place d’un vrai parcours EMI (éducation aux médias et à l’information).

« Après les attentats de Paris, l’importance de l’éducation aux médias et à l’information

[…] Les élèves ont besoin d’un ensemble de compétences remises à jour et étendues pour maîtriser les cultures de l’information (comme actualité, donnée, document…). Ces compétences relèvent d’apprentissages permettant de comprendre les dispositifs d’actualité, de vérifier et authentifier les sources des documents en ligne, de s’interroger sur l’agenda des opérateurs et les contraintes des plates-formes, de décrypter l’intention des messages pour en distinguer les fonctions (propagande, publicité…) et de surveiller le destin de leurs données. » Lire l’intégralité de l’article.

Voir aussi : L’éducation aux médias ne s’improvise pas

 

Mobilisation pour un usage raisonné des écrans

L’éducation à l’image, aux médias et à l’information  n’est pas seulement souhaitable, elle est une des conditions qui rendent possibles le jeu démocratique et l’exercice éclairé de la citoyenneté.

Déjà, de nombreux collectifs, mouvements associatifs et d’éducation populaire, d’universitaires et d’experts œuvrent dans ce sens.

Une nouvelle association vient de voir le jour. Elle fait suite au colloque qui s’est déroulé dans le 19ème arrondissement de Paris le 30 avril 2014 : ALERTE. Elle vise l’éducation des enfants et des adolescents à un usage raisonné des écrans. D’ores et déjà n’hésitons à visiter sa page Facebook et à la relayer !

Une journée pour se former

L’éducation au numérique c’est bien… léducation à l’image, aux médias et à l’information, c’est encore mieux !

L’AFI Centre social de Saint Paul Trois Châteaux dans le département de la Drôme a organisé, avec le soutien de l’UDAF, une formation qui a eu lieu le 13 mars dernier.

13 mars 2

Travail d’analyse de publicités en petits groupes

Les médias sont de plus en plus nombreux, leur technologie se fait toujours plus complexe et sophistiquée. En outre, les enjeux économiques qui les traversent sont très importants, ceux qui relèvent du politique, du social et de l’humain ne le sont pas moins. C’est pourquoi chaque individu doit être en mesure d’avoir une compréhension suffisante des tenants et des aboutissants de l’univers médiatique environnant, de ses répercussions sur nos vies et celle des enfants.

C’était l’objet de cette journée de formation que j’ai animée et au cours de laquelle s’est construite une réflexion commune à partir du décryptage et de l’analyse des images fixes et audiovisuelles ainsi que des contenus véhiculés par les technologies numériques. Cette démarche nous a conduit à nous interroger également sur les impacts des médias.

L’approche développée ici se base sur l’interaction entre chaque participant et avec l’intervenant. Nous nous sommes appuyés sur un diaporama et des exemples concrets à partir desquels chacun était amené à s’exprimer.

Si la rencontre avec les médias est de l’ordre de l’expérience, tout échange en groupe autour des images et des contenus médiatiques (quelles que soient leurs technologies) l’est également. Ces précieux moments de confrontations d’idées et de points de vue ainsi que leur très grande richesse, démontrent tout l’intérêt de développer largement ce type d’initiative.