Écrans et enfants : les parents ne sont pas seuls en cause

L’équipement croissant des univers domestiques en technologies numériques diverses et variées s’accompagne dans le même temps d’une forte préoccupation de santé publique. Exposition précoce des enfants aux écrans, surutilisation et mésusage de ces machines attrayantes ont des répercussions incontestables sur le bien-être et le développement de l’enfant.

Or, ce temps d’exposition des enfants aux écrans a sensiblement augmenté au cours de la pandémie, cela avec des conséquences dont nous ne maitrisons pas encore bien toute l’ampleur. Si l’usage des écrans peut être salutaire et bénéfique à certains âges et pour satisfaire des besoins de communication, d’information, de recherches, lorsqu’il a une ambition exclusivement distractive, il peut accaparer puissamment l’attention des jeunes et ce faisant, empiéter sur d’autres activités concrètes et humainement plus complètes : activités sportives, de plein air, culturelles, sociales, artistiques.

De plus, s’enquérir du temps passé devant les écrans par les enfants devrait conduire à s’interroger également sur les contenus regardés, les sites visités, les applications utilisées, et à se poser la question de leur intentionnalité ainsi que de leur finalité. Que sait-on par exemple des messages véhiculés par les programmes jeunesse auprès des jeunes téléspectateurs ? Que sait-on de la manière dont les fictions animées promeuvent les outils numériques disponibles sur le marché et incitent les enfants à les désirer, puis à les réclamer à leurs parents ? Oui Oui conduit ses enquêtes avec sa tablette tactile – gros plan de l’index qui glisse sur l’écran –  Les personnages de  Anna et ses amis ont recours à un écouteur-raconteur, ou à un jouet qui répond aux questions qu’on lui pose, on pense forcément à Google Home. Mais quel adulte regarde attentivement les programmes pour enfants et les dessins animés qui y sont diffusés ? Ces pratiques de persuasion sont d’autant plus critiquables qu’elles émanent d’émissions du service public (Okoo) et ciblent des enfants en bas âge quand, par ailleurs, il est demandé aux parents de ne pas soumettre les moins de trois ans aux écrans numériques.

Que sait-on des sites dédiés aux enfants et des activités qui y sont véritablement proposées : replay, jeux, concours… ?  Mais quel adulte s’attarde suffisamment sur ces contenus dont certains sont avant tout pensés pour influencer les esprits enfantins ?

Que sait-on des applications téléchargées sur les smartphones pour occuper l’enfant pendant un rendez-vous médical, dans la salle d’attente du médecin ou de l’orthophoniste, ou bien encore à l’abri de bus ? Est-ce si clair pour tout un chacun que ce n’est pas parce que ces produits sont présentés comme étant « adaptés aux enfants » qu’ils le sont véritablement ?

L’initiative de la tribune proposée par la députée LRM, Caroline Janvier, est intéressante et salutaire « La surexposition des enfants aux écrans pourrait être le mal du siècle ». Un usage suffisamment bon des écrans par les enfants et leurs familles ne pourra advenir que grâce à une volonté forte des pouvoirs publics et politiques.

Mais, nous le voyons, les parents sont loin d’être seuls en cause. Au contraire, ils sont soumis à des injonctions paradoxales dont ils n’ont pas toujours pleinement conscience. Des mesures adaptées doivent contraindre les industriels et autres GAFAM à recourir à de vraies bonnes pratiques. Non, les belles paroles et apparentes déclamations de bonne foi ne sont plus satisfaisantes. Quand la santé des enfants est en jeu, la responsabilité de tous les acteurs sociaux est engagée.

Objets numériques : scandaleuses pratiques de travail d’enfants

Les appareils numériques qui peuplent notre quotidien nous offrent la possibilité de nous divertir, de communiquer, de nous informer, de créer, de travailler, etc., Super, c’est le progrès ! Un progrès… pas pour tout le monde.

Nous avons pour habitude de nous concentrer sur l’enfant devant l’écran, mais que se passe-t-il avant qu’il ait reçu sa petite machine numérique ? Que se passe-t-il ensuite lorsqu’elle devient obsolète ? Cet article se propose d’élargir le champ de notre réflexion pour examiner d’un peu plus près la réalité de l’industrie du numérique dans ses phases de production, de consommation, jusqu’à l’étape finale de l’objet-déchet, avec la question centrale de la place et de la condition des enfants dans ce circuit ?

Ce détour est nécessaire, voire urgent, car dans le contexte d’une économie mondialisée et d’une industrialisation de produits high-tech de même envergure, la consommation des pays riches doit pouvoir également ne plus considérer le seul usage immédiat de ces technologies numériques, mais embrasser également les conditions de leurs productions aussi bien que leur fin, à savoir, les déchets qu’elles finissent toujours par devenir. C’est toute la démarche déployée par Fabien Lebrun dans son dernier ouvrage « On achève bien les enfants » : « La destruction des enfants par les écrans est réelle, concrète et visible en amont et en aval du cycle de production, c’est-à-dire de leur conception, des minerais extraits de terre, éléments matériels des écrans, à la transformation (métallurgie, raffinerie), leur assemblage, leur finition et leur commercialisation, leur consommation et leur utilisation, jusqu’à leur destruction et leur disparition, c’est-à-dire en tant que déchets aussi bien concrets que réels » (p. 152).

Ce smartphone, entre nos mains, deviendra très vite obsolète…

Remontons le cycle de production de nos appareils tant convoités. Ce smartphone, entre nos mains, deviendra très vite obsolète (obsolescence programmée), cela d’autant plus que la 5G s’impose déjà aux consommateurs que nous sommes. Or, « La production de déchets électriques et électroniques dans le monde (DEEE) représente 53,6 millions de tonnes, l’équivalent d’environ 1,7 t par seconde et de 7,3 kg par personne en moyenne et par an. » selon le site Planétoscope. Pour Fabien Lebrun, « 60 à 80 % de ces déchets sont gérés de manière opaque et envoyés illégalement des pays riches vers les pays pauvres » (p.154). Ces pays receveurs de nos déchets sont : la Chine, l’Inde, le Nigéria, le Ghana, pour ne citer que ceux-là. Or, sait-on que beaucoup d’enfants travaillent dans ces vastes décharges à ciel ouvert dans des conditions extrêmement périlleuses pour leur santé. Agbogbloshie, au Ghana, est l’une de ces décharges (lire, à ce sujet l’article fort instructif de Antonella Sinopoli (voir ci-dessous). Notons au passage que la France détient le triste record d’être le plus grand émetteur au monde de déchets électroniques avec plus de 20 kg par personne ! Au niveau mondial, ces déchets ont augmenté de plus de 21 % en 5 ans ! (greenIT.fr source « The Global E-Waste Monitor 2020 »).

Nos enfants, accros à leurs écrans, savent-ils que leurs pairs d’autres pays travaillent en nombre dans des usines sous-traitantes des grandes marques qui se disputent le marché occidental. L’une d’elles, l’usine LCE, située en Chine, est même dite « l’usine des enfants ». De jeunes mineurs (ayant parfois moins de 14 ans) travaillent sur les chaines de montage, des heures durant, pour un salaire de misère et dans des conditions souvent inhumaines.

Mais l’exploitation des enfants ne s’arrête pas là. Batterie, écran, électronique, coque de nos gadgets électroniques, conçus par les ingénieurs de la Silicon Valley, nécessitent l’utilisation de métaux rares (cobalt, lithium, cuivre, tantale, coltan…). Le Congo (RDC) est un des grands fournisseurs de ces métaux. Dans un rapport publié en 2015, Amnesty International révèle les conditions périlleuses dans lesquelles des enfants parfois très jeunes (7 ans) contribuent à extraire ces minerais.

« Les vitrines des boutiques chics et le marketing des technologies de pointe contrastent vivement avec les enfants ployant sous les sacs de roches et les mineurs s’affairant dans les étroits tunnels qu’ils ont creusés, exposés au risque de contracter des affections pulmonaires permanentes. Des millions de personnes bénéficient des avantages des nouvelles technologies, sans se préoccuper de la manière dont elles sont fabriquées. Il est temps que les grandes marques assument leur part de responsabilité dans l’extraction des matières premières qui rendent leurs produits si lucratifs. » (Mark Dummett, spécialiste de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International).

C’est évident, réduire le temps passé par nos enfants sur leurs écrans est un préalable incontournable pour garantir leur bien-être et leur santé. Mais, informer largement sur les scandaleuses pratiques de travail d’enfants en amont et en aval de la vie des objets numériques peut, non seulement contribuer à donner du sens à la réduction du temps-écran, mais également sensibiliser le consommateur occidental. Nous, consommateurs, détenons le pouvoir de faire pression sur les décideurs politiques et d’influer les orientations et décisions des grandes firmes internationales qui se partagent le vaste marché du numérique. Comment ? Quelques pistes…

  • Ne pas céder aux sirènes du marketing, lesquelles, par leurs « offres » et promesses aguichantes, font pression pour encourager à l’acte d’achat
  • Au contraire, prolonger au maximum la durée de vie de nos appareils
  • Viser le reconditionnement plutôt que l’achat de matériel neuf
  • Penser réparation
  • Privilégier l’équipement écolabel
  • Soutenir les démarches qui visent le respect de la convention internationale des droits de l’enfant : L’article 32 de la Convention internationale des droits de l’enfant indique que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de  compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social », voir à ce sujet le site de l’UNICEF.
  • Soutenir et relayer les actions des ONG, notamment celles de Amnesty international et

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Pour approfondir :

  • « Voilà pourquoi on meurt », Rapport Amnesty International, 2016 ici
  • « Ghana : la décharge d’Agbogbloshie », La revue Quart-Monde 2018 ici
  • « La face cachée du numérique » Guide ADEME, novembre 2019 ici
  • « La face honteuse du «métal bleu» » , Le Monde diplomatique, juillet 2020 ici

Les adolescents face aux images violentes, sexuelles ou haineuses sur internet (2)

Ainsi que mentionné dans l’article précédent, l’ouvrage collectif « Les adolescents face aux images trash sur internet »[1] présente une approche interdisciplinaire. Ce deuxième volet s’intéresse plus particulièrement aux résonances psychiques et émotionnelles que les images violentes, sexuelles ou haineuses peuvent avoir chez le sujet adolescent.[2]

Plusieurs questions se posent en effet. Qu’est-ce qu’une image qui choque ? De quelle manière l’adolescent appréhende-t-il ce type d’images ? Il est, par ailleurs, tout à fait à propos de s’interroger sur les raisons qui poussent les adolescents à regarder ces images sans se protéger, et à les partager.

G. Willo Toke rappelle que les images trash touchent « l’ensemble des adolescents, sans distinction de leur milieu d’origine »[3]. Or, les modérations annoncées par les plateformes présentent tant de failles et de biais qu’elles sont largement insuffisantes à prévenir le surgissement d’images devenues impossibles à maîtriser par celui qui y est exposé. « L’afflux d’images, explique A. Gozlan, est tel que les mots qui la qualifient et qui, alors, peuvent lui donner un sens ne suivent plus, comme si la pensée était dépassée par la vitesse numérique, ou […] par la puissance du virtuel ».[4]

Une image peut être choquante pour l’un et ne pas l’être pour l’autre. L’histoire de vie, l’environnement social et culturel, l’existence ou non d’une médiation parentale, ont une influence certaine sur l’appréhension de ce genre d’images. Il n’en demeure pas moins que les modalités psychiques du choc opèrent sans doute de manière assez similaire d’un sujet à l’autre.  Face à une image choquante, l’adolescent est en proie à un état de sidération. Une sidération qui serait due à « un excès du perceptif, à une saturation du visuel ».[5] Ce serait plus particulièrement le cas des images éloignées de toute fictionnalisation et plus proches du réel dans ce qu’il a d’horrifiant (images de décapitation, de mort, de viol, en direct, etc.). Ces images-là provoqueraient une sorte d’aveuglement parce qu’elles obturent le discernement et figent tout exercice potentiel de la pensée. Elles aboutiraient ainsi à un « anéantissement du sentiment de soi ».[6]

Mais alors, qu’est-ce qui pousse les adolescents à regarder ces images, à les rechercher même ? Ces plateformes numériques fréquentées par les adolescents sont des lieux où « on ne peut manquer son rendez-vous avec le pulsionnel » explique G. Willo Toke. Sachant que les réseaux sociaux numériques mettent tout en œuvre de leur côté pour « séduire » leurs clients adolescents.

Les échanges que les adolescents ont eus avec le psychologue mettent en avant un besoin d’information, dans le sens où l’envie de « savoir » recouvrirait dans le même temps le désir de « voir ça ». Ce qui est nommé « information » par l’adolescent semble être ce qui est censé le rapprocher du « vrai ». Mais, comme le souligne l’auteur de cette contribution, ce vrai-là échappe au langage.

Il apparait également que la recherche de contenus morbides peut s’interpréter comme une « tentative de résilience ». C’est-à-dire que l’adolescent essaierait de se donner « les moyens de lier les angoisses de chute, d’abandon et de mort »[7] à la façon des contes pour enfants qui ont une certaine capacité à symboliser et à contenir les angoisses existentielles. Toutefois les images violentes, sexuelles ou haineuses n’ont pas le pouvoir de symbolisation des histoires contées, elles font au contraire barrage à tout travail d’élaboration.

Si les jeunes confrontés aux images trash sont sujets à un état de sidération, cela ne conduit pas à une névrose traumatique prévient G. Willo Toke. En revanche sa réflexion le conduit à inviter le législateur à intervenir plus fermement auprès des grandes firmes à l’origine des réseaux sociaux afin qu’elles adoptent des comportements plus responsables. Dans le même temps, ce sont aussi les programmes éducatifs de prévention qui devraient être déployés plus massivement auprès des jeunes. Car on l’aura bien compris, l’image peut désorganiser, renforcer les fragilités propres à l’adolescence et les vulnérabilités individuelles si elle échoue à convoquer le langage. L’éducation assure cette reprise en main par le langage.


[1] JEHEL. S., GOZLAN. A., (dir.), Les adolescents face aux images trash sur internet, éditions In Press,2019.https://www.inpress.fr/livre/les-adolescents-face-aux-images-trash-sur-internet/

[2] Sont retenues ici les contributions d’Angélique Gozlan, psychologue clinicienne et psychanalyste, et de Geoffroy Willo Toke, également psychologue clinicien et docteur en psychopathologie.

[3] G. WILLO TOKE, p. 110

[4] A. GOZLAN, p. 95

[5] A. GOZLAN, p. 99

[6] Ibid, p. 100

[7] G. Willo Toke, p. 119.

Les adolescents face aux images violentes, sexuelles ou haineuses sur internet (1)

Cet ouvrage[1] réalisé sous la direction de Sophie Jehel[2] et d’Angélique Glozlan[3], présente une recherche sur la réception des images violentes, sexuelles et haineuses par les adolescents (VSH).

Quand, la recherche relative aux rapports des jeunes aux écrans tend à privilégier les études longitudinales, randomisées, l’intérêt de cette vaste contribution relève de son caractère interdisciplinaire. L’approche sociologique inscrite dans le champ des sciences de l’information et de la communication se voit complétée par la psychologie clinique. L’ensemble étant relayé par une réflexion sur l’accompagnement des adolescents (médiations adultes, dispositifs éducatifs).

À l’origine de ce travail, une enquête réalisée auprès de 190 adolescents entre 15 et 18 ans. Il s’agissait pour l’auteure d’ « étudier les stratégies [que les adolescents] développent au contact des images VSH qui circulent sur les plateformes numériques ».[4]

Malgré les annonces rassurantes des réseaux sociaux qui affirment exercer un contrôle des contenus pour la sécurité des adolescents, les images trash y sont fréquentes. Les entretiens réalisés avec les adolescents qui ont participé à cette enquête le confirment : « Les témoignages des adolescents mettent […] en évidence la fréquence de la diffusion d’images sexuelles explicites ou agressives sur leurs fils d’actualité ».[5] Or, 100 % des 12-17 ans sont internautes, et cela depuis un peu moins de 10 ans.

L’étude avait pour ambition d’entendre le vécu des adolescents et de comprendre les multiples attitudes qui sont les leurs, face à ces images, afin de mettre en lumière les facteurs de vulnérabilité qui interviennent dans la rencontre d’images violentes, sexuelles et haineuses.

Les adolescents face aux images trash : quels vécus ? Quelles expériences ?

Les rapports qu’entretiennent les adolescents avec les images, notamment (mais pas seulement) avec celles d’entre elles qui sont les plus violentes, sont habités par les expériences de l’enfance. « […] les adolescents ont le souvenir d’images qui les ont choqués ou leur ont fait honte […] note S. Jehel[6]. Ces éprouvés infantiles sont présents dans la rencontre des contenus médiatiques et des réseaux sociaux numériques.

Par ailleurs, tous les adolescents ne réagissent pas de la même manière aux images de violence, de haine ou à connotation sexuelle. S. Jehel identifie quatre grandes catégories d’attitudes. Pour autant elles ne sont pas exclusives les unes des autres et peuvent parfois se conjuguer chez un même individu.

L’adhésion : dans cette catégorie se retrouvent des adolescents fascinés par les images trash, ce qui les pousse à aller à leur rencontre sur internet. Ces jeunes ne font preuve d’aucune distanciation vis-à-vis des contenus auxquels ils s’exposent. Ils sont également en difficulté dans la mise en mots et en sens.

L’indifférence : Dans ce cas de figure, l’adolescent ne s’arrête pas sur ces images. Il en a déjà vu, elles sont nombreuses. Il éprouve un sentiment s’impuissance qui le pousse à passer son chemin. L’auteure y voit une mise en retrait à deux niveaux au moins : celui des émotions en tenant loin de soi les affects déclenchés par ces images ; celui de l’espace public sur lequel elles circulent et auquel il prend part en ne signalant pas, par exemple,  les contenus à caractère choquant, qui mériteraient d’être supprimés.

L’évitement : certains évitent les représentations de très grande violence, car ils ne souhaitent pas être confrontés à l’horreur. D’autres vont opter pour des stratégies d’évitement face à des types de contenus précis : les informations jugées démoralisantes ou encore les spectacles pornographiques, notamment chez certaines jeunes filles influencées par leur culture religieuse.

L’autonomie : Les adolescents qui répondent à ce profil font preuve d’un certain recul critique. Ils sont capables d’analyse (contextualisation, intentions de l’auteur, construction du message…). Ces facultés se retrouvent dans les conversations qu’ils peuvent avoir à ce propos avec leur entourage. C’est plus particulièrement dans cette catégorie que l’on retrouve les jeunes internautes en capacité d’intervenir comme éléments régulateurs des plateformes.

Cette recherche démontre également l’influence des milieux sociaux dans la manière d’appréhender et de traiter les contenus et représentations véhiculés par les médias et les plateformes numériques.

Dans les milieux plus favorisés, les adolescents ont été plutôt protégés des risques associés aux écrans. La médiation parentale y est mieux assurée et les jeunes issus de ces milieux disposent de connaissances qui leur permettent de développer un raisonnement critique.

Dans les milieux dits « populaires » le rapport des adolescents aux RSN est très ambivalent. S’ils ne sont pas sans méfiance face aux contenus télévisuels qu’ils fréquentent (séries, émissions de télé-réalité ou informations) ils n’en font pas moins un usage important.

Les jeunes en situation de grande vulnérabilité au profil psychologique plus fragile sont à la recherche de contenus qui renforcent leur besoin de toute-puissance et légitiment une certaine forme de marginalité.

D’autres facteurs interviennent, les valeurs culturelles partagées, la présence ou non d’adultes cadrants, les relations interpersonnelles avec l’entourage constituent également des éléments de contexte qui influencent la réception des images trash.

Les données recueillies grâce à cette enquête nous procurent un éclairage inédit sur les expériences adolescentes relatives aux images violentes, sexuelles ou haineuses qu’ils rencontrent dans les médias et sur les plateformes numériques. Elles constituent par ailleurs un socle de connaissances fiables susceptibles d’inspirer les pouvoirs publics d’une part, la société civile d’autre part (dont parents et éducateurs) pour un accompagnement pertinent de ces jeunes dans l’univers des écrans et particulièrement des plus vulnérables d’entre eux. 


[1] JEHEL. S., GOZLAN. A., (dir.), Les adolescents face aux images trash sur internet, éditions In Press,2019.

[2] Sophie Jehel est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8 et chercheure au CEMTI.

[3] Anglique Gozlan est docteure en psychopathologie et psychanalyse, psychologue clinicienne, chercheure associée à l’Université Paris 7 et Lyon 2.

[4] P. 29

[5] P. 30.

[6] P. 57.


Qu’est-ce qui nous pousse à surutiliser les applis ?

Une websérie documentaire informe sur les ressorts à l’œuvre dans les applis pour rendre l’usager dépendant. A voir et à revoir.

Texte de présentation de la websérie :

« Tu es accro à tes applis ? Tous les matins après Twitter, tu checkes tes flammes sur Tinder. Pas de métro sans YouTube ou Candy Crush. Instagram est irrésistible, Facebook addictif, t’es accro à Snapchat… et tu pètes les plombs quand t’as plus de batterie pour Uber. T’inquiète pas c’est normal. Toutes ces applis sont conçues pour te rendre complètement addict en activant dans ton cerveau la molécule responsable du plaisir, de la motivation et de l’addiction… la dopamine ! « 

Dopamine
Une websérie documentaire de Léo Favier
Coproduction : ARTE France, Les Bons Clients, Réseau Canopé
(France, 2019, 8 x 6’30’’)

Du mésusage des écrans chez les enfants et les adolescents

La revue à comité de lecture des Sciences de l’information et de la communication MEI (Médiation Et Information) vient de sortir un numéro intitulé Santé publique et communication.

Vous y trouverez un article sur les conséquences sanitaires d’un mésusage des écrans chez les enfants et les adolescents  : « Le mésusage des écrans chez les enfants et les adolescents : l’éclairage d’une enquête qualitative auprès des professionnels de l’enfance et de l’adolescence »

N’hésitez pas à vous le procurer !

Éditions l’Harmattan juillet 2018.

« Les impacts des écrans sur la jeunesse : un enjeu majeur de santé publique »

Le colloque que je vous avais récemment annoncé a bien eu lieu. Ce sont environ 150 personnes qui se sont retrouvées pour réfléchir aux conséquences de l’envahissement des écrans dans la vie des enfants et des adolescents.

Organisé conjointement entre l’association ALERTE et EDUPAX, il a donné la parole à plusieurs intervenants. Les contributions de Linda Pagani[1] et de Daniel Marcelli[2] ont été très appréciées. Ils confirment l’émergence de nouveaux troubles développementaux associés à un mauvais usage des écrans (exposition aux écrans de manière trop précoce, temps excessif passé avec ou devant l’écran, surstimulation audiovisuelle). Ils attestent également des répercussions délétères qui s’ensuivent à l’adolescence.

L’apport du professeur Alain Bentolila a concerné plus précisément la place des écrans numériques dans les apprentissages scolaires. Joël Hillion nous a entretenu quant à lui de l’empathie de plus en plus contrariée par l’excès d’écrans.

Pour ma part, j’ai pu présenter les premiers résultats d’une enquête réalisée auprès des professionnels et praticiens de l’enfance et de l’adolescence dans 12 départements français. Ce qui a donné lieu à un article signé de Pascale Santi, paru aujourd’hui même dans Le monde « Cahier sciences et médecine ». Voir Le Monde Sciences et Médecine 09 05 18 : « Linquiétude monte face à l’impact des écrans sur les plus jeunes ».

Les défis sans écrans continuent leur progression en France, mobilisant petits et grands, enseignants, élus municipaux et divers acteurs locaux. Ceux qui en témoignent disent la dynamique que cela produit dans la population locale. Moins d’écrans, c’est en effet plus d’échanges en famille, plus d’activités alternatives au sein du foyer et à l’extérieur, et le retour à la créativité individuelle et collective.

La diversité des approches proposées a fortement contribué à la richesse de cette journée.

 

[1] Linda Pagani est professeure titulaire à l’École de psychoéducation et chercheure au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine de l’Université de Montréal

[2] Daniel Marcelli est pédopsychiatre, président de l’Association française de psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence et disciplines associées (sfpeada)

Des enfants surexposés aux écrans : oui, « addiction aux écrans » et « autisme virtuel », peut-être pas…

Les technologies numériques ont connu une accélération très importante ces dernières années. Ce faisant, les familles se sont équipées massivement d’écrans de tous modèles, grands et petits, fixes et mobiles, aux multiples convergences et fonctionnalités.

Les médias, autrefois dévolus aux adultes ainsi qu’aux plus jeunes, mais dans des créneaux horaires très circonscrits, s’invitent maintenant dans la vie des enfants sous forme d’écrans de plus en plus précocement. Les bébés se voient affublés d’une tablette aux programmes soi-disant éducatifs quand les enfants d’âge scolaire sont pourvus d’un smartphone (c’est-à-dire d’un ordinateur de poche) dès le primaire. Ainsi, les indications d’âge prônées par certains sont indubitablement désavouées par des propositions marchandes souvent alléchantes et mensongères.

Ceci étant, la réalité à laquelle nous avons affaire aujourd’hui devient préoccupante pour les enfants surexposés aux écrans et pour la qualité des relations intrafamiliales. Surutilisés, les écrans agissent comme de véritables perturbateurs du développement de l’enfant. Les professionnels de santé, travailleurs sociaux, éducateurs et acteurs de l’enfance font des observations inquiétantes : retards de langage, troubles de l’alimentation, du sommeil, de la motricité fine et globale, isolement affectif… Ces symptômes semblent toucher de plus en plus d’enfants et un nombre croissant de familles[1]. Il est important d’en prendre acte afin d’enrayer cette déplorable tendance avant qu’il ne soit trop tard.

Si les médias ont toujours suscité préoccupations et débats passionnés dans leurs rapports aux enfants[2], les écrans nomades du moment, donnent à la question de l’éducation, et du « prendre soin »[3] des enfants, une dimension nouvelle. Ils sont conçus de manière à capter l’attention et à retenir l’usager le plus longtemps possible et s’imposent au consommateur avec une grande puissance marketing. Comment dès lors reporter la responsabilité sur les seuls parents ? On le voit, les tentatives de réponses que sont les préconisations d’âges et d’éducation aux médias ne sont pas de nature à faire le poids si elles ne sont pas accompagnées de politiques visant à encourager les firmes concernées à des pratiques plus éthiques.

Les progrès de la technologie numérique ne connaissent pas le même rythme que la recherche. L’élaboration de la pensée ne peut se passer d’un temps de maturation, salvateur d’ailleurs, car il apporte la distanciation nécessaire à l’appréhension du sujet. Comment alors rendre compte du phénomène ? Comment dire les faits observés ? Comment les nommer ? Comment les qualifier ? La tentation est grande, dans l’urgence, d’emprunter à d’autres champs les concepts qui nous manquent. Les expressions « addiction aux écrans », « autisme virtuel », semblent vouloir combler ce vide. Toutefois, le risque n’est-il pas de manquer une réalité singulière ? D’oblitérer des tenants et des aboutissants susceptibles de nous éclairer plus justement ? Dans La formation de l’esprit scientifique Gaston Bachelard identifie les obstacles à la culture scientifique. Nous en retiendrons deux dans le cadre de cet article : l’expérience première et l’usage de métaphores. « L’expérience première ne peut, en aucun cas, être un appui sûr, nous dit-il[4] […] « Au spectacle des phénomènes les plus intéressants, les plus frappants, l’homme va naturellement avec tous ses désirs, avec toutes ses passions, avec toute son âme. On ne doit pas s’étonner que la première connaissance objective soit une première erreur. »[5] Il nous faut ainsi faire un pas de côté pour nous détacher de notre objet, le re-voir sous un autre angle et repenser la façon de poser la question. Un autre obstacle épistémologique identifié par le philosophe est la métaphore : « qu’on le veuille ou non, les métaphores séduisent la raison ». L’excès de métaphorisation est encore trop courant et fait semble-t-il barrage à une problématisation plus fructueuse. Nous devons, chercheurs, professionnels, cliniciens et experts, interroger notre manière de saisir nos objets de préoccupation et de les médiatiser. Plus que jamais, la prudence s’impose.

Néanmoins, les faits énoncés plus avant sont là, prégnants, inquiétants. Ils nécessitent que soient mises en place des études épidémiologiques et longitudinales transdisciplinaires : en sociologie, médecine, psychoéducation, imagerie cérébrale, etc., et cela dans les meilleurs délais.  Car il devient impératif de mesurer l’ampleur du phénomène de surexposition et ses conséquences. C’est la question de la santé des enfants et de leur bien-être qui est en jeu.

 

[1] Je m’appuie ici sur une enquête que j’ai réalisée auprès de professionnels de divers horizons et sur les témoignages de parents ou d’acteurs du monde de l’enfance lors de formations ou de conférences.

[2] BATON-HERVE, Elisabeth, Les enfants téléspectateurs. Programmes, discours, représentations, L’Harmattan, 2000.

[3] STIEGLER, Bernard, Prendre soin de la jeunesse et des générations, Flammarion, 2008.

[4] BACHELARD, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, p. 23.

[5] Ibid., p.54.

A propos de harcèlement sur le web

Je vous recommande vivement cet article de Sophie JEHEL maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8. Elle s’interroge sur l’insuffisance de la régulation face aux problèmes de harcèlement sur le web qui affectent sévèrement les adolescents.

Des faits de harcèlement sur le web émaillent régulièrement la rubrique des faits divers. Depuis les drames de Jessi Slaughter (2010) et d’Amanda Todd (2012) en Amérique du Nord, l’idée d’une mise en danger des jeunes par le harcèlement sur les réseaux sociaux est devenue un leitmotiv de la prévention sur internet et un sujet d’inquiétude pour les adolescents. Lire la suite…