Être parents face à la publicité

La publicité est partout : dans les rues, dans les rames de métro, les halls de gares ; dans les magazines, sur les écrans de télévision, au cinéma, sur Internet, dans les jeux vidéo, dans les compétitions sportives, etc. Chaque citoyen est un consommateur potentiel pour les grandes marques qui ont les moyens de s’offrir des supports aussi nombreux que diversifiés.

Or, l’une des spécificités de cette communication réside dans sa direction : à sens unique, et dans l’absence de consentement effectif du récepteur. Quel que soit son âge, son milieu social, son lieu de résidence, le destinataire ne peut échapper à cette multitude de messages commerciaux. Même s’il ne les sollicite pas, s’il ne les désire pas, ils s’imposent à lui, de fait. La relation marchande dans laquelle il se trouve involontairement introduit est par essence déséquilibrée puisque hormis le fait qu’il n’en est pas à l’origine, il ne possède aucun moyen concret de pouvoir l’éviter. Le problème se complique lorsque les enfants sont en cause. La société demande beaucoup aux parents et les chargent d’une responsabilité très lourde. Combien de fois n’a-t-on pas entendu et lu par rapport à l’influence des écrans et notamment de la publicité : « c’est aux parents de faire attention ! ». Toutefois certains messages véhiculés dans l’espace social vont à l’encontre des repères éducatifs que ceux-ci tentent d’inculquer à leurs enfants. C’est précisément le cas lorsque les messages publicitaires viennent heurter de plein fouet les convictions, morales, religieuses, ou tout simplement les références culturelles des uns et des autres. Que dire de ces panneaux publicitaires à écran LCD équipés de capteurs faciaux sur lesquels sont diffusées des publicités animées et évolutives ? À nouveau les citoyens n’ont pas la possibilité de refuser ces capteurs faciaux, ils n’ont pas davantage la capacité d’éviter l’exposition de leur enfant à des messages pouvant leur apparaitre comme potentiellement préjudiciables.

L’espace familial est-il plus favorable à une maitrise parentale des messages publicitaires ? Rien n’est moins sûr. Il suffit de se pencher sur les programmes télévisuels destinés au jeune public. La publicité s’immisce aussi bien entre les dessins animés qu’à l’intérieur même de ces derniers. Malgré la vigilance exercée par le CSA, les analyses de ces programmes enfantins révèlent des pratiques déloyales, voire même proscrites. Or si elles échappent à l’instance de contrôle, c’est qu’elles peuvent être insidieuses et difficiles à débusquer[1], « Pas vu pas pris »[2] comme le suggère le titre d’un documentaire de Pierre Carles.

La construction même des programmes jeunesse est élaborée en vue de susciter la confusion entre les fictions animées qui font l’objet de programmation et les publicités qui les entourent. Les marques de passage (génériques, indicatifs publicitaires) sont singulièrement réduites, voire gommées à la seule fin que l’enfant ne soit pas en mesure de différencier la publicité des dessins animés. Les spots publicitaires se présentent eux-mêmes comme de courtes fictions animées achevant ainsi la confusion des genres dans l’esprit du jeune téléspectateur. Certains d’entre eux s’inscrivent dans une pratique totalement déloyale vis-à-vis de l’enfant et de ses parents, à l’exemple de cette publicité pour une application de smartphone payante. La mention « demande l’autorisation à tes parents » est bien présente, mais elle est insérée en petits caractères et défile à une vitesse accélérée ce qui n’en permet aucunement la lecture[3]. Quoi qu’il en soit, un grand nombre de dessins animés servent de faire-valoir aux marques présentes sur le marché des 4-10 ans. Tel cet épisode de Garfield dans lequel une séquence introductive présente le personnage de la série éponyme en train de regarder la télévision en mangeant des céréales dans un grand bol. Lui et son compagnon s’adressent directement aux téléspectateurs en ces termes : « Il n’y a rien de mieux dans la vie que de s’installer confortablement devant sa télévision en mangeant un délicieux petit encas », (phrase répétée deux fois). Ce message, loin d’être anodin, introduit deux types d’attitudes  contestables : regarder la télévision plutôt que de s’adonner à des activités sportives ou créatives, manger en grande quantité un produit alimentaire qui s’apparente aux céréales des grandes marques vendues dans les supermarchés. Notons-le, ces comportements prônés dans la fiction vont à l’encontre des recommandations émises par le Programme National Nutrition Santé « Manger Bouger » et introduisent un risque pour la santé de l’enfant.

Ces exemples, rapidement présentés, démontrent encore le rapport de force déséquilibré entre des annonceurs disposant de moyens financiers importants associés à des publicitaires et diffuseurs, et des parents, le plus souvent entretenus dans la méconnaissance de pratiques publicitaires et marketing extrêmement sophistiquées. Les sites internet et autres applications destinées aux enfants nécessitent de même une grande vigilance de la part des parents et des éducateurs.

Le législateur comprendra le désarroi des parents soucieux du bien-être de leur enfant et désireux de le voir grandir dans un monde qui le respecte. Dans le contexte d’une société ouverte à la publicité sans réglementation rigoureuse, le plein exercice de la parentalité est-il possible ? N’est-il pas nécessaire et important de rétablir un rapport de force équitable entre les acteurs marchands et la société civile ?

[1] BATON-HERVE E., Les enfants téléspectateurs, programmes, discours, représentations, L’Harmattan, 2000 – Enfants et télévision, une affaire de famille, L’Harmattan, 2005.

[2] CARLES P., « Pas vu pas pris », série documentaire sur les médias en trois volets, 1998

[3] https://elisabethbatonherve.com/2016/11/03/publicites-pour-enfants-parents-soyez-vigilants/

https://elisabethbatonherve.com/2014/09/29/la-communication-publicitaire-en-direction-des-enfants-lexemple-des-programmes-jeunesse-de-la-television-francaise/

 

Texte écrit à l’occasion du procès d’une jeune maman ayant écrit « Gare à la pub » sur un panneau publicitaire : http://www.deboulonneurs.org/article743.html

Les journaux télévisés : entre information et promotion

Hier, 3 octobre 2016, la chaîne publique France 2 a diffusé un reportage sur la consommation des bonbons qui, aux dires de son présentateur, serait en augmentation. Placé en fin de journal le sujet est annoncé dans « le dossier du jour ».

Ne nous y trompons pas, ce reportage ne cible pas particulièrement nos petits chérubins. Il s’intéresse aussi aux grandes personnes qui deviendraient elles-mêmes mangeuses de bonbons. A ce titre, le micro-trottoir est très éloquent, il se tourne dans un premier temps vers des enfants pour s’orienter ensuite vers des adultes de moins de 50 ans : un homme pour lequel manger des bonbons « ça réconforte, ça fait du bien, ça relaxe », une femme ensuite tout aussi positive « Un petit coup de déprime ? Aller, hop ! un bonbon et ça repart ». Nous apprenons que les Français consommeraient 3 kg de bonbons par an et par personne. C’est possible, mais cette affirmation n’est accréditée par aucune étude. Le secteur serait en pleine croissance, 2 % depuis le début de l’année, nous voulons bien le croire, mais le reporter ne cite pas ses sources.

Les téléspectateurs sont invités à visiter une entreprise située dans le Gard. Le micro est alors tendu au responsable fabrication Haribo, puis à la responsable du pôle stratégie innovation Haribo qui nous fait découvrir les nouveaux produits de la marque (des fraises Tagada roses et violettes, la belle affaire ! ) et enfin au président de Haribo France filmé devant la mascotte de la marque.  Pour faire bonne mesure, les auteurs du reportage se sont intéressés à une autre marque de bonbons : Lutti. Cette fois ce sont les responsables recherche et marketing qui sont successivement interviewés. Tout cela agrémenté d’images de bonbons de toutes formes, de toutes couleurs, fabriqués en abondance et distribués en magasins où une présentation astucieuse autant qu’attrayante encouragera le téléspectateur-consommateur à succomber à la tentation.

Ce reportage du journal télévisé de la deuxième chaîne d’information du service public interroge. Des informations dignes de ce nom ne devraient-elles pas être plus riches dans leur contenu, plus objectives dans leur présentation ? Le téléspectateur ne serait-il pas en droit d’attendre un contrepoint ?

Par ailleurs, qu’en est-il de la campagne de prévention du PNNS (Programme national nutrition santé) par exemple ? N’est-ce pas là un moyen pour les grands annonceurs de contourner l’obligation qui leur est faite d’accompagner leurs messages publicitaires d’une mention sanitaire comme « Pour votre santé ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé » ? Mais alors que dire de la connivence ici décelée entre les journalistes et les acteurs du monde marchand ? Il est certain en tout cas que ce « journalisme de marché »[1] sert bien plutôt les intérêts croisés des journalistes et de leur chaine, des communicants et de leurs annonceurs, que ceux des téléspectateurs.

 

 

[1] BENILDE. Marie, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raison d’agir, 2007.

Publicités pour enfants : parents, soyez vigilants !

Décidément, la possibilité pour les chaînes de télévision de diffuser des messages publicitaires dans les espaces dédiés aux enfants ne les incite pas à adopter des conduites vertueuses, bien au contraire. Les annonceurs enclins à harponner les jeunes téléspectateurs ne sont pas non plus tous doués pour les « bonnes pratiques » recommandées par l’ARPP[1].

Il suffit de passer un peu de temps devant les programmes spécifiquement concoctés à l’intention des enfants de 4 à 10 ans pour prendre connaissance de la manière dont ces jeunes téléspectateurs sont considérés à travers les messages qu’on leur délivre.

Une publicité diffusée par la chaîne Gulli a tout particulièrement retenu mon attention[2]. Il s’agissait de promouvoir un abonnement à un service de téléchargements pour mobiles. Non seulement il est supposé que les enfants de cet âge sont susceptibles de posséder un Smartphone, ce qui est déjà en soi problématique, mais de surcroît l’abonnement au service en question présente un coût de 3 € par semaine. Le message verbal répété à deux reprises sur le mode de l’injonction et redoublé par le message textuel de la publicité : « Envoie ORDRE au 8 80 20 » sera certainement mémorisé par l’enfant.

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D’autres mentions écrites accompagnent cette publicité telle : « mon portable est-il compatible ? compatibilité-mobile.fr ». Mais la rapidité du spot (10 secondes) ainsi que la taille des caractères en découragent assurément la lecture. En revanche une pastille jaune présente tout au long de la publicité comporte cet autre message « Accède à + de 10 000 sonneries avec le club ! ».  Enfin, durant ce laps de temps une bande comportant d’autres informations écrites défile avec une extrême rapidité dans le bas de l’écran. Elle est de fait absolument illisible. Il m’aura fallu réaliser plusieurs pauses sur images pour réussir à déchiffrer le texte suivant dans sa totalité : « Mydoo – Abonnement sans engagement de durée. 1 contenu offert pour toute souscription. Inscription en 2 SMS non surtaxés. Téléchargement de 3 contenus par SMS reçu (au choix parmi sonneries, jeux, applications) pour 3 € par semaine + coup wap. Compatibilité et conditions : kko.store.fr. Désinscription : envoyez STOP au 88020 (SMS non surtaxé). Infos : envoyez CONTACT au 88020.  Mineurs, demandez l’accord de vos parents ».

Il est évident que nous avons affaire ici à des agissements déloyaux et de ce fait contestables. Ces nombreuses informations échapperont à coup sûr aux jeunes téléspectateurs. Il en est de même pour l’avertissement relatif à l’autorisation parentale annulé du fait de son illisibilité. Le cœur de cible visé par les annonceurs présents dans les programmes et chaînes jeunesse est constitué par les 4-10 ans. Devant une publicité classique, l’enfant ne dispose pas de discernement suffisant avant l’âge de 8-10 ans. Dans le cas présent, le message publicitaire est construit de telle manière que les informations importantes ne puissent pas être perçues. L’article 6 de la recommandation enfant de l’ARPP[3] sur la « Publicité loyale », stipule : « Les messages adressés aux enfants doivent être clairs et simples pour prendre en compte leur niveau de connaissances, de vocabulaire ou d’expérience. ». Toutefois, il serait souhaitable que l’énonciation gagne en précision quant aux informations qui doivent accompagner certains messages (voir points 6/3 et 6/4). Il serait particulièrement indiqué d’insister davantage sur le fait que ces informations réclament une bonne lisibilité, dans le cas contraire elles ne servent strictement à rien. En tout état de cause, les services requérant un éventuel acte d’achat immédiat ne devraient-ils pas être interdits de publicité auprès des enfants ?

Cet exemple, comme d’autres relatés dans ce blog, démontre à quel point il est nécessaire et important pour les parents et éducateurs d’être attentifs aux contenus médiatiques conçus pour les enfants. Une vigilance accrue à l’égard de cette offre pléthorique de contenus de divertissements infiltrés de communications publicitaires serait de nature à favoriser, ici comme ailleurs, l’exercice de la citoyenneté et à faire évoluer lois et réglementations vers « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

[1] Autorité de régulation professionnelle de la publicité (http://www.arpp.org/).

[2] Publicité recueillie le 16 mars 2016.

[3] http://www.arpp.org/IMG/pdf/Reco_Enfant.pdf

Le journal télévisé : entre information et promotion

Hier, 3 octobre 2016, la chaîne publique France 2 a diffusé un reportage sur la consommation des bonbons qui, aux dires de son présentateur, serait en augmentation. Placé en fin de journal le sujet est annoncé dans « le dossier du jour ».

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Ne nous y trompons pas, ce reportage ne cible pas particulièrement nos petits chérubins. Il s’intéresse aussi aux grandes personnes qui deviendraient elles-mêmes mangeuses de bonbons. A ce titre, le micro-trottoir est très éloquent, il se tourne dans un premier temps vers des enfants pour s’orienter ensuite vers des adultes de moins de 50 ans : un homme pour lequel manger des bonbons « ça réconforte, ça fait du bien, ça relaxe », une femme ensuite tout aussi positive « un petit coup de déprime ? Aller, hop ! un bonbon et ça repart». Nous apprenons que les Français consommeraient 3 kg de bonbons par an et par personne. C’est possible, mais cette affirmation n’est accréditée par aucune étude. Le secteur serait en pleine croissance, 2 % depuis le début de l’année, nous voulons bien le croire, mais le reporter ne cite pas ses sources.

Les téléspectateurs sont invités à visiter une entreprise située dans le Gard. Le micro est alors tendu au responsable fabrication Haribo, puis à la responsable du pôle stratégie innovation Haribo qui nous fait découvrir les nouveaux produits de la marque (des fraises Tagada roses et violettes, la belle affaire ! ) et enfin au président de Haribo France filmé devant la mascotte de la marque.  Pour faire bonne mesure, les auteurs du reportage se sont intéressés à une autre marque de bonbons : Lutti. Cette fois ce sont les responsables recherche et marketing qui sont successivement interviewés. Tout cela agrémenté d’images de bonbons de toutes formes, de toutes couleurs, fabriqués en abondance et distribués en magasins où une présentation astucieuse autant qu’attrayante encouragera le téléspectateur-consommateur à succomber à la tentation.

Ce reportage du journal télévisé de la deuxième chaîne d’information du service public français interroge. Des informations dignes de ce nom ne devraient-elles pas être plus riches dans leur contenu, plus objectives dans leur présentation ? moins complaisantes ? Le téléspectateur ne serait-il pas en droit d’attendre un contrepoint ?

Par ailleurs, qu’en est-il de la campagne de prévention du PNNS (Programme national nutrition santé) ? Ne serait-ce pas là un moyen pour les grands annonceurs de contourner l’obligation qui leur est faite d’accompagner leurs messages publicitaires d’une mention sanitaire comme « Pour votre santé ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé » ? Mais alors que dire de la connivence ici décelée entre les journalistes et les acteurs du monde marchand ? Il est certain en tout cas que ce « journalisme de marché »[1] sert bien plutôt les intérêts croisés des journalistes et de leur chaine, des communicants et de leurs annonceurs, que ceux des téléspectateurs.

Au fait, Halloween, c’est bien le 31 octobre n’est-ce pas ?

Voir le JT en replay

Consulter le site du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel sur les communications commerciales.

[1] BENILDE. Marie, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raison d’agir, 2007.

Pourquoi la publicité doit-elle être interdite dans les programmes télévisuels destinés à la jeunesse ?

Le débat sur la présence de publicités dans les programmes jeunesse est inhérent à l’introduction de la publicité sur les chaines de la télévision française en 1968. Les questions de fond qu’il pose ont souvent eu tendance à être éludées au profit d’arguments qui ne résistent pas à l’épreuve des faits.

La publicité change radicalement la relation du diffuseur avec les jeunes téléspectateurs

Certes ce débat est complexe puisqu’il nécessite de s’interroger sur l’aptitude des enfants de moins de 12 ans à différencier le contenu publicitaire du reste du programme. S’ils ne sont pas en capacité de le faire, la présence de messages persuasifs commerciaux au sein de leur programme s’apparente alors à de la manipulation. Cela dit, d’autres considérations sont à prendre en compte telles que l’incidence des spots publicitaires sur la structure du programme, le choix des émissions en termes de genre, de qualité, le rythme avec lequel les différents éléments s’enchainent au sein du programme dédié aux enfants. En effet avec l’introduction de la publicité les jeunes téléspectateurs deviennent une audience susceptible d’être vendue à des annonceurs. Or, les annonceurs seront intéressés par les espaces télévisuels qui leur sont proposés à la condition que l’ensemble du programme soit favorable à leurs annonces.

Pas de discernement suffisant avant 10-12 ans

La littérature sur le sujet a démontré que la compréhension par les enfants de la publicité, de sa nature commerciale et persuasive, ne s’acquièrent que progressivement pour devenir matures vers 10-12 ans. Avant cette étape charnière, les enfants sont dans une relation essentiellement affective avec la marque. Comme l’expliquent Claude Pêcheux et Christian Derbaix, « l’enfant traite l’annonce de manière globale plutôt qu’il n’analyse les différents éléments de celle-ci. Cette réaction globale et affective à l’annonce détermine son attitude envers la marque ».[1]

En effet avant le stade de la pensée opératoire formelle, l’enfant n’est pas en mesure de développer l’attitude de distanciation que réclame l’exposition aux messages publicitaires. Cette raison est déjà suffisante en elle-même pour ne pas autoriser la publicité dans les émissions pour les enfants. C’est le choix qu’ont déjà fait plusieurs pays dont la Suède qui considère que « les enfants sont inconscients de ce qu’il est raisonnable de souhaiter […] des envies qu’ils ne peuvent assouvir qu’en harcelant leurs parents »[2].

En France un dispositif législatif encadre la publicité télévisuelle des émissions destinées aux enfants. L’un des articles précise que «  Les messages publicitaires télévisés doivent être aisément identifiables et nettement séparés du reste du programme avant comme après leur diffusion par des écrans reconnaissables à leurs caractéristiques optiques et acoustiques ».[3] L’examen approfondi des programmes concernés démontre que cet article de loi n’est pas respecté.

Effacement des marques de différenciation et mélange des genres

Les stratégies développées par les chaînes de télévision font montre de ressources insoupçonnables pour contourner les réglementations contraignantes. Différentes pratiques, destinées à créer la confusion dans l’esprit des enfants et à faire barrage à leurs facultés naissantes d’exercice de leur pensée, sont identifiables :

  • Les génériques des dessins animés se voient parfois supprimés en totalité, diffusés en accéléré, illisibles ou décalés ;
  • La durée des indicatifs publicitaires n’est plus suffisante pour opérer la séparation avec le reste du programme de façon significative ;
  • La réutilisation, dans l’indicatif publicitaire, des codes visuels ou sonores de la fiction qui vient de se terminer amoindrit l’avertissement d’entrée dans la page de publicité ;
  • Par ailleurs, la continuité des codes visuels et sonores concourt à gommer les marques de passage entre les différents constituants du programme pour en faire une totalité filmique accordée à l’univers publicitaire.

Dans ces conditions le discernement devient impossible pour les enfants. Il est même d’une grande difficulté pour des adultes non avertis. Certaines études ont pu mettre en évidence le filtre mis en place par les parents de catégories sociales supérieures et/ou d’un niveau d’études plus élevé. Ces parents sont en effet plus enclins à exercer une attitude éducative face aux écrans et notamment à la télévision. Néanmoins, les pratiques de mélange des genres et d’effacement des marques de différenciation ôtent toute possibilité d’intervention adulte même chez les parents dits plus favorisés.

Une recommandation du CSA en date du 7 juin 2006 traite des cas où les fictions ont donné lieu à des produits dérivés : « Afin d’éviter tout risque de confusion dans l’esprit du jeune téléspectateur, entre le contenu éditorial d’une œuvre et le message publicitaire faisant la promotion des produits dérivés de celle-ci, ces publicités doivent être chronologiquement aussi nettement séparées que possible de l’œuvre. » En réalité cette recommandation est loin de garantir le téléspectateur contre l’effet de confusion. Déjà en 1986, Jean-Noël Kapferer faisait état de recherches à ce sujet : «  Lorsque le dessin animé publicitaire suit de près ou de loin le dessin animé non publicitaire présentant le même héros, il peut se produire un effet de confusion auprès des enfants ».[4] La question s’est alors posée de savoir ce qui était le plus efficace : passer le spot immédiatement après ou quelque temps après ? « Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, écrit J.N. Kapferer, le passage de Fred Flistone (publicité) dans des conditions non adjacentes au dessin animé Flinstones attira plus l’attention et engendra plus de désir de la marque que le passage adjacent. »[5] Il poursuit en ces termes : « Ces résultats sont importants, car ils montrent qu’il n’est pas nécessaire de rechercher les conditions de passages adjacents. La simple proximité entre le programme où parait le héros et la publicité (où il reparait) suffit : elle crée plus d’attention, plus de confusion auprès des plus jeunes, et plus de désir. »[6]

La suppression de la publicité pendant la durée des programmes nationaux de télévision destinés aux moins de 12 ans, ainsi que pendant un délai de quinze minutes avant et après la diffusion de ces programmes parait être, à ce jour, la mesure la mieux à même de protéger les enfants de la force persuasive de la publicité.

Néanmoins, les observations faites ci-devant et celles qui suivent soulignent la nécessité d’un suivi plus rigoureux des séries animées distribuées dans les émissions pour la jeunesse, celles-ci constituant un terrain trop souvent colonisé directement ou indirectement par des marques et/ou des discours marchands.

Des marques dans les séries animées

Lors de leurs émissions, les enfants ne sont pas seulement exposés à la publicité par le biais de spots dédiés. Les dessins animés qui leur sont proposés se trouvent parfois colonisés par des marques (merchandising de produit) ou par des produits appartenant à une même catégorie de marché comme le hamburger (merchandising de concept) ou encore par des attitudes et des messages au service de la promotion d’attitudes favorables à la consommation.

La publicité clandestine est interdite en France[7] de même que toute pratique qui se rapprocherait de techniques subliminales. Force est de constater pourtant que les enfants se voient exposés à des marques au sein même des séries animées.[8] Nombre d’autres fictions délivrent des messages très incitateurs auprès des jeunes téléspectateurs[9]. Enfin un grand nombre de personnages déployés par les fictions programmées dans les émissions jeunesse évoluent dans un univers où la consommation est présentée comme la seule attitude qui vaille. Les répliques et les actions peuvent à ce point être orientées qu’elles entrent parfaitement en contradiction avec les messages de santé qui accompagnent depuis 2007 les spots publicitaires. Les héros des enfants sont ainsi mis en scène dans des situations de consommation massive, voire tout à fait excessive, de produits « trop gras, trop sucrés ou trop salés ». Ce qui donne à penser que les attitudes proscrites par l’ARPP dans les spots publicitaires se voient déplacées dans les fictions qui jouxtent les publicités.[10]

Publicité sur internet

Qu’en est-il de la publicité qui s’invite également sur les sites des chaînes de télévision en lien avec les programmes jeunesse ? Des chercheurs se sont penchés sur la capacité de l’enfant à discriminer le contenu publicitaire du contenu du site. Leur hypothèse s’appuyait sur les résultats des recherches précédentes concernant la publicité télévisuelle, lesquelles concluent à une capacité progressive des enfants à identifier la publicité et à comprendre sa finalité. « Dans un contexte de lien entre la bannière publicitaire et le site adjacent, pensent-ils, l’effet de confusion est plus fort chez les jeunes enfants que les plus âgés. » Cette hypothèse s’est en réalité trouvée infirmée : « Dans un contexte de lien, l’effet de confusion est accru, tous âges confondus ».[11]

Il est par conséquent logique que la proposition de suppression de la publicité dans les programmes jeunesse des chaines publiques françaises s’applique également aux sites internet qui leur sont associés.

Conclusion

Lorsque les annonceurs sont présents dans les programmes destinés à la jeunesse, les diffuseurs ont alors recours aux ingrédients les plus séducteurs et les plus attractifs. C’est ainsi que la fiction occupe à présent toute la place des espaces-temps télévisuels dédiés aux moins de 12 ans. Cela bien évidemment au détriment d’une offre plus généreuse et plus variée, ouverte sur le monde, sur sa diversité et soucieuse de contribuer à l’éveil de l’esprit des jeunes téléspectateurs. L’examen approfondi des émissions pour la jeunesse de la télévision française sur plus de vingt années contredit l’argument selon lequel les ressources publicitaires permettraient de réinvestir dans des contenus de qualité. Il y a tout lieu de penser que c’est le contraire qui se produit. La publicité conduit inéluctablement à un appauvrissement des émissions télévisuelles spécifiquement destinées aux jeunes téléspectateurs.

Posté le 25 janvier 2016, mis à jour le 30 septembre 2021

[1] C. PECHEUX, C. DERBAIX, « L’attitude de l’enfant envers une nouvelle marque : de la nécessité d’une phase de fixation ? », Recherche et applications en marketing, vol 17, n° 3/2002

[2] La publicité destinée aux enfants : identifier la meilleure protection possible, In Option consommateurs, avril 2008.

[3] Article 14, Décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié, relatif à la publicité, au parrainage et au téléachat – Version consolidée.

[4] J. N. KAPFERER, L’enfant et la publicité, Dunod, 1986, p. 55

[5] Ibid, p. 56.

[6] Ibid.

[7] Article 9, Décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié, relatif à la publicité, au parrainage et au téléachat – Version consolidée.

[8] Certaines d’entre elles en sont particulièrement pourvoyeuses, telle Les totally Spies.

[9] Dans un épisode de Gardfield & Cie, le héros principal est assis dans un fauteuil devant la télévision et mange un très grand bol de céréales. Il se tourne vers le jeune téléspectateur le prenant à parti : « Il n’y a rien de mieux que d’être installé confortablement devant sa télévision et de manger un délicieux petit encas. Puis il ajoute : oh d’ailleurs j’espère que vous êtes bien installés vous aussi. »

[10] Recommandation enfants « Allégations santé » de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité).

[11] A. PETRE, C. LONCHAY, « L’enfant et la publicité en ligne : le problème de la discrimination contenu publicitaire –contenu du site », IAG, Université Catholique de Louvain, 2003.

La communication publicitaire en direction des enfants à travers les émissions télévisuelles destinées à la jeunesse

Extrait de ma contribution au colloque « L’enfant face aux écrans » (Noisy-le-Grand, 24 septembre 2014).

Mélange des genres et confusion des esprits

La confusion entre la publicité et les autres éléments des programmes est non seulement courante mais savamment orchestrée. Elle se manifeste à différents niveaux :

  • Les publicités qui s’adressent aux enfants se présentent souvent comme de courts dessins animés avec leurs héros, leurs intrigues et un dénouement heureux grâce au produit ;
  • Certains dessins animés sont issus de jeux, jouets ou bandes dessinées lorsque d’autres donnent lieu à des produits dérivés (M. Bahuaud 1999) : Pokémon, Viva Pinatas, My little ponny, Ninjago, Tortues Ninja, Batman. Dans les deux cas les jouets ont tout loisir de parader tout au long des épisodes de la série animée ;
  • Les marques de passage entre un élément du programme et l’écran publicitaire sont astucieusement gommées
    • Absence de générique de fin ;
    • Indicatif publicitaire brouillé ;
    • Succession de deux épisodes de dessins animés sans que le passage entre l’un et l’autre soit clairement indiqué ;
    • insertion du titre du second épisode d’une même série seulement après la première séquence ;
  • Dessins animés conçus sur le mode publicitaire. Ces dessins-animés représentent presque l’essentiel des programmations pour enfants.

C’est ainsi que les programmes jeunesse et les sites qui leur sont associés (à part quelques exceptions qui ne font que confirmer la règle), ne semblent plus inculquer aux enfants que les comportements et valeurs conformes à l’idéologie de la consommation.

Exemple : Gardfield & Cie, Fr3, 10 septembre 2014, saison 4, épisode 53, Plus peur que son ombre.

Le tout Début de l’épisode présente Nerman (le copain de Gardfield) assis dans un fauteuil devant la télévision avec un grand bol de céréales qu’il dévore gloutonnement. Arrive Gardfield à qui il s’adresse en ces termes : « Y’a rien de mieux dans la vie que d’être assis confortablement devant ses programmes préférés en mangeant un délicieux petit encas ». Gardfield le déloge alors brutalement afin de retrouver son fauteuil et reprend à son compte l’affirmation de son ami : « Eh ! Il a raison, y’a rien de mieux dans la vie que d’être assis confortablement devant ses programmes préférés en mangeant un délicieux petit encas. Puis il ajoute en s’adressant directement aux jeunes télépespectateurs : oh d’ailleurs j’espère que vous êtes bien installés vous aussi. »

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Cette courte séquence est à l’image de l’ensemble de cette série et de nombre d’autres fictions animées programmées par les diffuseurs. Elle démontre que :

  • Les intentions persuasives ne sont pas le seul fait des spots publicitaires, elles traversent de part en part les fictions animées qui font l’objet de programmation dans l’espace-temps télévisuel dédié aux jeunes téléspectateurs ;
  • Elles ne sont pas toujours de nature explicitement commerciale :
    • Elles promeuvent et encouragent les comportements associées à la consommation des produits distribués par les grandes marques présentes dans le programme jeunesse (céréales, pizzas, hamburgers…) ;
    • Elles promeuvent et encouragent la présence de la télévision dans la famille (il est inconcevable qu’il n’y ait pas d’écran de télévision dans le foyer) ainsi que les attitudes attendues : s’asseoir devant l’écran, appuyer sur la télécommande (condition sine qua non pour que l’enfant soit exposé aux messages commerciaux).

Lire le texte intégral : La communication publicitaire en direction des enfants Noisy le Grand le 24 09 2014

Quand la publicité discrédite l’imagination des enfants

Les marques qui s’adressent aux enfants conduisent parfois ces derniers à se détourner de leur propre imagination et créativité pour adopter les produits qu’elles commercialisent à leur intention.

Il en est ainsi de ce spot publicitaire pour Quick et sa Magic Box. Des enfants, un garçon et une fille, sont en train de jouer à la princesse et au pirate. A cette fin, ils se sont fabriqués des petits personnages avec des bouchons en liège mais ceux-ci finissent pas se casser. Sur ces entrefaites un ado arrive et leur lance d’un air moqueur : « Il sont trop nases vos jouets ». C’est alors que la marque Quick présente sa Magic Box contenant des jouets Playmobil.

Dans une émission documentaire fort instructive intitulée « Les enfants de la surconsommation », à propos des publicités pour jouets une spécialiste, Susan Linn, fait observer : « On leur dit [aux enfants] que leur imagination n’est pas à la hauteur, que ça ne suffit pas d’avoir un bâton ou une baquette magique, il faut avoir la vraie ».

A force de répétition, ce type de message peut être très dommageable pour les enfants qui, au contraire, ont besoin de s’appuyer sur leur imagination, de fabriquer de leurs propres mains, d’expérimenter… Plus encore, cette parole publicitaire peut conduire l’enfant qui la reçoit à avoir une piètre idée de lui-même et de ses compétences.

Cela dit nous pouvons, pour notre part, adopter une attitude positive et constructive face au pouvoir d’influence de la publicité. Ainsi, à partir de ce spot publicitaire il sera possible de vérifier ce que l’enfant en a compris et de lui demander ce qu’il en pense. Au cours de cet échange le parent a aussi la possibilité de lui faire part de son point de vue. De cette manière l’enfant est mis en situation d’exercer sa pensée et d’apprendre le discernement. C’est ce qu’on appelle : l’éducation aux médias.

NB : en écrivant cet article je découvre que je ne suis pas la seule à avoir repéré cette publicité. Le JEP (Jury d’éthique de la publicité, organe d’autodiscippline du secteur de la publicité de Belgique) a reçu une plainte d’un consommateur, plainte qu’il a classée comme non recevable. L’autorégulation a ses limites ! Notons cependant que si les observations et réclamations arrivaient en plus grand nombre auprès des instances professionnelles de régulation elles auraient aussi probablement plus de poids.