Une thèse de médecine sur l’exposition des enfants aux écrans et les troubles du langage

Manon Collet, jeune médecin, a réalisé sa thèse de médecine sur l’exposition des enfants aux écrans en rapport avec les troubles du langage, travail pour lequel elle a obtenu le prix de thèse de Médecine « Professeur Pierre Gineste » 2017. Cette étude a été publiée dans le Bulletin épidémiologique de Santé publique France en janvier 2020.

Manon Collet a bien voulu répondre à mes questions.

Photo M. ColletVous avez réalisé votre thèse de médecine concernant l’influence des écrans sur l’acquisition du langage, pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Au cours de mon dernier stage d’interne de médecine générale effectué en cabinet de ville, j’ai été confrontée à l’accès aux écrans chez les enfants au sein même du bureau de consultation. Que ce soit un téléphone donné dans la poussette pour calmer l’enfant qui pleure, ou le jeune enfant ou adolescent les yeux rivés sur sa tablette ou smartphone alors même que la consultation le concernait. Ces nouveaux usages m’étaient inconnus et m’ont interpellée.

Une de mes maîtres de stage, qui était sensibilisée au sujet de la prévention des écrans m’a conseillée d’interroger systématiquement les enfants sur leur consommation d’écrans lorsque je les recevais pour des consultations de prévention comme lors des demandes de certificats sportifs. Ce thème des écrans et de leurs risques sur la santé n’avait jusqu’alors pas été abordé au cours de mes études. J’ai été très surprise du simple temps d’usage quotidien des écrans chez certains enfants.

Concernant ma pratique de médecin généraliste, j’ai trouvé intéressant d’aborder ce thème de la surexposition aux écrans par le prisme de son impact sur la santé des jeunes enfants et plus particulièrement sur le thème du langage. En effet le développement du langage est un des piliers du développement psychomoteur de l’enfant. Il s’agit d’un aspect très important à évaluer et à suivre en médecine générale.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons effectué une étude cas-témoin menée dans 24 communes d’Ille-et-Vilaine sur des enfants âgés de 3,5 à 6,5 ans. Entre juillet et octobre 2016, nous avons inclus dans l’étude 167 enfants cas qui étaient suivis par des orthophonistes pour des troubles primaires du langage. Cent neuf enfants témoins du même âge ont été recrutés chez des médecins généralistes d’une même ville ou pôle de santé, lorsqu’ils n’avaient pas besoin de suivi orthophonique.

Un questionnaire parental a été créé et distribué à ces 276 familles afin de collecter des informations sur l’enfant et ses habitudes de consommation d’écrans.

Les données ont ensuite été analysées par une statisticienne de l’hôpital de Pontchaillou à Rennes afin de rechercher des liens entre les différents types d’exposition aux écrans recueillis et les troubles primaires du langage.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Cette étude a montré qu’un enfant qui était exposé aux écrans le matin avant d’aller à l’école serait trois fois plus à risque de développer des troubles primaires du langage.

Un enfant qui ne discutait que rarement voire jamais du contenu visualisé sur les écrans avec ses parents serait lui deux fois plus à risque de développer des troubles primaires du langage.

Et nous avons montré un effet additionnel de ces risques, puisque lorsque l’enfant présentait ces deux facteurs combinés, le risque de développer des troubles primaires du langage était multiplié par six par rapport à un enfant qui n’était dans aucune de ces deux situations.

Quels conseils aimeriez-vous donner aux parents ?

Il est important d’apporter des conseils individualisés adaptés à l’âge et à la maturité de l’enfant, mais également aux connaissances et au ressenti des parents.

Mais d’une manière plus générale, j’aime beaucoup la règle des « 4 pas » proposée par la psychologue Sabine Duflo qui s’est inspirée des recommandations de l’académie américaine de pédiatrie. Car cette règle s’adapte à tous les membres de la famille et donc à tous les instants de vie. Elle est la suivante :

  • Pas d’écran le matin. Car l’écran va épuiser l’attention de l’enfant dès le matin, or il en aura besoin pour tous les apprentissages du reste de sa journée.
  • Pas d’écran pendant les repas. Car c’est un moment important à partager en famille. De plus si le cerveau est occupé par l’écran il ne se concentre plus sur son assiette et le sentiment de satiété sera retardé.
  • Pas d’écran avant de s’endormir. Car l’écran va stimuler le cerveau qui a pourtant besoin de redescendre en température et en excitation pour induire un sommeil réparateur.
  • Pas d’écran dans la chambre de l’enfant. Car cela échappe au contrôle parental que ce soit en terme de durée passée devant l’écran, que du contenu visualisé et du risque d’empiéter sur le sommeil.

Je rappelle également d’éviter l’accès aux écrans ou même la télévision allumée en bruit de fond avant 3 ans. Cette recommandation française est souvent connue des parents mais il est important qu’ils en comprennent la raison. Le jeune enfant a besoin de l’intéraction avec son entourage pour se développer, chose qu’un écran ne pourra jamais lui apporter.

Mais globalement il ne faut surtout pas oublier l’importance pour les parents de définir un cadre et des règles autour de l’usage des écrans, que ce soit en terme d’accès, de durée, de contenu. L’usage de l’écran, en dehors de certaines périodes de la journée à éviter, doit être vu comme une activité à part entière, qui ne prend pas la place d’autres activités, qui ne doit pas être là pour combler du vide, mais plutôt un moment de partage d’expérience en discutant du contenu visualisé avec son enfant.

À votre avis, quel pourrait être le rôle du médecin généraliste dans la prévention des conséquences sanitaires d’un mésusage des écrans chez les enfants et les adolescents ?

Les conséquences du mésusage des écrans sur la santé des enfants sont bien connus et ne sont plus à démontrer.  Le médecin généraliste, de part la relation de confiance qu’il noue avec ses patients a un rôle très important dans cette prévention. Il est en première ligne pour transmettre les informations aux jeunes parents, puisque la plupart du temps il a l’avantage de suivre le couple parfois avant le désir de grossesse, puis pendant toute la grossesse et lors du suivi régulier de l’enfant.

Des études ont montré que les habitudes de consommation d’écrans des parents influaient sur la consommation d’écrans de leurs enfants. Il est donc important d’initier cette prévention aux mésusages des écrans avant même la naissance du bébé pour inciter à adapter son mode de vie à la venue de l’enfant. De plus les consultations de suivi des premiers mois de vie sont des moments où beaucoup d’informations nouvelles sont données aux parents. L’information à l’écran à ce moment devrait être un message de rappel car s’il s’agit d’une information nouvelle, elle sera plus difficile à retenir.

L’information doit donc être régulièrement apportée aux familles, depuis le pré-conceptionnel jusqu’à l’adolescence et donc adaptée aux besoins et à l’âge de l’enfant, mais également de manière individuelle au vécu et aux attentes de la famille.

Parents, jeunes enfants et confinement : une enquête en ligne

Quel est le vécu des enfants de moins de 6 ans et de leurs parents pendant cette longue période de confinement ? Le Groupement d’Intérêt Scientifique BECO-UFTMiP « Bébé, petite Enfance en COntextes » veut tenter de répondre à cette question importante en réalisant une large enquête à laquelle les parents concernés sont invités à participer.

« Il nous a semblé important d’étudier ce que les parents ayant de jeunes enfants de moins de 6 ans vivent, ressentent, mobilisent, pour eux-mêmes et leurs enfants, durant cette période de confinement inédite. Il s’agit ainsi de documenter les impacts favorables ou moins favorables de cette crise sanitaire liée au COVID-19. »

Une classe virtuelle pour les enfants de maternelle ?

En cette période troublée par un mauvais virus qui nous contraints au confinement, parents et grands-parents s’interrogent sur l’opportunité qu’il y aurait à placer les enfants devant les écrans. D’autant que les initiatives fleurissent sur le Net. Une amie s’interroge pour sa petite fille.

Question

« En voyant cette proposition d’une maîtresse de maternelle, j’aimerais avoir ton avis. Ça semble tentant pour Alice… à part que ça l’habitue aux écrans dès maintenant. Penses-tu comme moi que c’est mieux que le parent s’en inspire surtout si la maîtresse n’est pas la sienne ? »

Réponse

« Tu as tout à fait raison, il est préférable que les parents s’en inspirent pour des activités « en réel » et concrètes avec les enfants !

Dans cette période de confinement, on a trop tendance à penser que les écrans vont remplacer tout ce que l’on peut faire dans la vie réelle ! On les utilise parfois à tort et à travers.

Cette maîtresse parle de ses petits élèves de 2 ans ½ à 4 ans. Son intention est louable et certainement bien intentionnée. Cette initiative n’en présente pas moins des risques et pose la question de sa pertinence selon l’âge de l’enfant.

Il faut rappeler qu’un enfant de 2 ans n’est pas devant l’écran « il est dans l’écran » comme me le disait une psychologue lors de mon enquête. Par ailleurs l’enfant de cet âge n’a pas encore acquis le concept de représentation. Pour que le tout-petit comprenne le cours de la maîtresse via une vidéo, il faut qu’il soit en mesure de comprendre que c’est une représentation-image de sa maîtresse. Par ailleurs il faut qu’il soit en mesure d’associer son monde en 3D et celui de l’image qui est en 2D. Or, avant trois ans, les enfants présentent ce que des psychologues américains du développement ont appelé un « déficit vidéo » (Judy S. DeLoache – Daniel R. Anderson). Ce terme ce réfère à l’observation selon laquelle les jeunes enfants apprennent mieux dans le cadre d’une relation directe, c’est-à-dire, en présentiel, que par le biais d’un écran.

À partir de trois ans sur des périodes courtes, cela commence à être possible. À condition qu’un adulte soit présent pour donner à l’enfant les explications suffisantes, s’assurer qu’il comprenne bien et que ça ne le fatigue pas trop (regarder un écran peut occasionner une grande fatigue).

Et, comme tu le signales, que se passe-t-il pour les petits élèves dont ce n’est pas la maîtresse ? Nous le savons pourtant, la relation du petit enfant à son enseignante est très affective.

En vérité n’est-ce pas beaucoup demander aux enfants en bas âge ?

Quoi qu’il en soit, oui, le risque demeure de rendre les tout-petits dépendants des écrans. Cette période est au contraire l’occasion rêvée (si je puis dire !) de faire des choses ensemble, petits et grands, d’être dans l’inter-relation et par conséquent en interaction. L’essentiel à cet âge étant de favoriser le développement de la motricité (fine et globale) et du langage dans une présence bienveillante à l’enfant.

Les touts-petits et les écrans, soirée d’échange

« Les chuchoteries du mardi-soir » à Guémené Penfao (44)

Le 28 janvier dernier nous étions une vingtaine, parents, professionnels et moi-même pour réfléchir ensemble à la question des écrans dans la vie des jeunes-enfants.

Voici un compte-rendu original réalisé par une maman présente lors de cette soirée. Sa « sketchnote » résume très bien le contenu de cette soirée. Et, à suivre, le témoignage d’une participante professionnelle.

Sketchnote de Sophie Le Penher

Je vous invite à découvrir également l’article qu’elle a réalisé pour son site : En résumé !

Témoignage

Depuis quelques années, certaines familles s’interrogent davantage sur la question des écrans  et, en tant  que professionnelles, nous sommes de plus en plus confrontées à cette question.

Nous constatons que les écrans font partie de la vie quotidienne des parents mais aussi des tout-petits, et ce malgré le campagne de sensibilisation menée par le gouvernement.

Notre intention est d’informer sur les risques, bien sûr, mais pas seulement. En effet, à travers cette soirée d’informations, nous avons pris conscience que nous tous étions bernés par les marques qui garantissent que nos enfants apprendront « mieux » avec leur tablette ou en regardant le dessin animé sur la chaine « adaptée » aux tout-petits.

Les apports théoriques ont permis d’appuyer notre positionnement « pas d’écran avant 3 ans » , en comprenant davantage en tant que parent et professionnelle, le pourquoi de cette directive.

Bien évidemment,  pour des raisons d’obligation de réserve professionnelle, nous ne pouvons pas nous permettre de donner des situations bien précises

Écrans : pourquoi la limite des 3 ans ? (1)

Un peu d’histoire

Le repère de 3 ans, considéré comme étant l’âge à partir duquel un enfant peut être concerné par les écrans n’est pas une limite artificielle. Il ne dit pas davantage qu’à 3 ans les enfants peuvent être seuls devant les écrans, bien au contraire ! Un petit retour rétrospectif sur la question du rapport des écrans aux enfants en bas âge a tout son intérêt.

Nous pouvons considérer cinq étapes majeures dans l’histoire des écrans vis-à-vis des enfants.

  • Avant la première loi sur la libéralisation de l’audiovisuel en France, les tout-petits n’étaient pas concernés par les écrans. Les chaînes de télévision ne s’adressaient aux enfants qu’à partir de 4 ans. Les programmes pour enfants restaient cantonnés aux jours sans école et en soirée pour accompagner l’enfant avant l’heure du coucher. On se rappelle la fameuse émission Bonne nuit les petits de Claude Laydu. Mais l’arrivée de chaînes privées change la donne. Les impératifs d’audience et de rentabilité prévalent à toute considération éducative et de bien-être.
  • À partir des années 70 et jusqu’au début des années 2000, les chaines de télévision françaises s’intéressent à la catégorie des préscolaires. Suivant en cela l’exemple de Sesame Street, une émission éducative américaine destinée dans un premier temps aux enfants dont les parents ne pouvaient s’offrir le luxe de l’école maternelle. En France l’émission Sesame Street a donné lieu à différentes déclinaisons, dont : Sesame ouvre-toi, 1, rue Sesame, 5, rue Sesame…
  • Le début des années 2000 voit les chaînes câblées et satellitaires se spécialiser dans les enfants en bas âge. Elles annoncent des programmes pour enfants à partir de 2 ans.
  • Puis, en 2005 et 2007, nous voyons arriver des chaînes s’adressant spécifiquement aux bébés à partir de 6 mois. Elles émettent 24 h/24.
  • Depuis ce sont les objets connectés qui sont mis entre les mains des tout-petits.

C’est l’arrivée des chaînes dites pour bébés qui soulève en France des interrogations. Une pétition est lancée sur Internet par le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron : « Pétition contre les bébés téléphages ». En parallèle, les associations familiales et d’éducation populaire, réunies au sein du collectif CIEME  (Collectif Interassociatif Enfance Médias et Éducation) interpellent le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et demandent que soit prise en compte la notion de protection. Le CSA se retourne alors vers la Direction Générale de la Santé. Cette dernière réunit le 16 avril 2008 un groupe d’experts de l’enfance de tous horizons (pédiatres, pédopsychiatres, psychologues, neuroscientifiques, etc.). Ces experts auditionnent diverses personnalités et autres spécialistes, aussi bien dans le domaine des professionnels et praticiens de l’enfance que dans celui des professionnels des médias.

A l’issue de cette journée, toutes les personnes réunies autour de la table aboutissent à la même conclusion : pas de consommation de télévision avant trois ans. Au-delà de cet âge, la prudence et l’accompagnement parental s’imposent.

L’Avis rédigé par la DGS et remis au CSA est alors le suivant : (extrait)

Aussi, la direction générale de la santé :

se prononce contre les chaînes spécifiques pour les enfants de moins de trois ans,

déconseille la consommation de la télévision jusqu’à l’âge d’au moins 3 ans, indépendamment du type de programme,

considère qu’au delà de 3 ans, chez le jeune enfant, l’usage de la télévision doit être particulièrement prudent : Les parents doivent être vigilants sur le contenu (violence, sexualité, dérision…), la  durée, les horaires, afin de prévenir les troubles liés au non respect de la maturité de l’enfant (troubles du comportement, de l’attention, du sommeil, de l’alimentation et des apprentissages, anxiété, agressivité, difficulté d’identification à la souffrance de l’autre …….).

« En conséquence, la direction générale de la santé recommande :

– la diffusion d’une large information dans les media sur les risques de la télévision pour les enfants de moins de 3 ans, en direction du grand public et des professionnels de la petite enfance (émissions thématiques, signalétique sur les écrans, documents distribués  à la naissance, mention dans le carnet de santé…),

– que les sociétés commercialisant des émissions destinées aux jeunes enfants ne puissent alléguer de bénéfices pour la santé ou le développement de l’enfant non prouvés scientifiquement,

– de compléter les connaissances scientifiques dans ce domaine par :

  1. une synthèse de l’ensemble des  études françaises et internationales publiées,
  2. l’analyse des données disponibles,
  3. l’intégration à  d’autres études (cohorte Elfe…) des questions concernant l’usage de la télévision,  notamment chez les enfants,
  4. la promotion d’études sur les aspects où les données sont insuffisantes, en particulier en les inscrivant dans les priorités des prochains programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC).

Voir l’avis complet de la DGS sur le site du CSA (délibération ci-dessous).

Le 22 juillet 2008, le CSA rédige une Délibération visant à protéger les enfants de moins de 3 ans des effets de la télévision.

Depuis, et avec l’abondance d’appareils connectés disponibles sur le marché, le marketing racoleur ciblant les parents de très jeunes enfants, l’avis ambigu de l’Académie des sciences faisant croire à une différence entre les écrans passifs et les écrans interactifs, la vigilance s’impose.

Qu’il s’agisse de la télévision, du smartphone ou de la tablette, la limite de 3 ans reste la plus sensée. Au-delà de cette âge, l’usage des écrans doit être particulièrement prudent, non ritualisé, et toujours accompagné. L’essentiel au fond étant de constamment privilégier des alternatives aux écrans : activités concrètes le plus souvent et le plus longtemps possible !

Liens utiles

https://www.cemea.asso.fr/spip.php?article5139

Cliquer pour accéder à annexe2_enjeux_educatifs.pdf

Cliquer pour accéder à annexe4_enjeux_juridiques.pdf

https://www.unaf.fr/spip.php?article7006

https://www.unaf.fr/spip.php?article6054

Cliquer pour accéder à pas-de-tc3a9lc3a9-pour-les-bc3a9bc3a9s.pdf

Cliquer pour accéder à pas-de-tc3a9lc3a9-pour-les-bc3a9bc3a9s-2.pdf

Cliquer pour accéder à pas-de-tc3a9lc3a9-pour-les-bc3a9bc3a9s-3.pdf

https://www.csa.fr/Arbitrer/Espace-juridique/Les-textes-reglementaires-du-CSA/Les-deliberations-et-recommandations-du-CSA/Recommandations-et-deliberations-du-CSA-relatives-a-la-protection-des-mineurs/Deliberation-du-22-juillet-2008-visant-a-proteger-les-enfants-de-moins-de-3-ans-des-effets-de-la-television

Écrans : pourquoi la limite des 3 ans ? (2)

L’exposition aux écrans nécessite des compétences

Dans l’article précédent, nous avons rappelé l’origine de la limite de 3 ans comme constituant l’âge avant lequel les écrans, quels qu’ils soient, ne représentent aucun intérêt pour l’enfant et constituent même un risque pour son développement. Il ne s’agit en rien d’une invention marketing, mais le fruit d’échanges et d’une élaboration qui s’est construite entre scientifiques, professionnels et spécialistes de l’enfance. L’histoire le démontre fort bien, le marketing au service des grandes sociétés commerciales médiatiques et numériques tend plutôt à s’adresser aux enfants dès le berceau !

Quelques repères simples permettront à présent de discerner si l’enfant est en mesure ou non d’être exposé aux écrans. L’enfant doit avoir acquis :

  1. La marche : si ce n’est pas le cas, il est prisonnier de l’écran, car il ne peut pas décider de s’en détacher pour vaquer à d’autres occupations ;
  2. Certaines habiletés optiques, par exemple rappelons que l’acuité visuelle arrive à maturité complète aux alentours de la cinquième année ;
  3. Le langage : cela suppose un vocabulaire suffisamment riche, une capacité à construire des phrases intelligibles de façon à ce qu’il puisse s’exprimer à propos des contenus de l’écran ;
  4. La compréhension de ce qu’il regarde. C’est pourquoi la présence d’un adulte est indispensable au cours du temps consacré à l’écran ;
  5. La capacité à contenir les émotions éprouvées via l’écran : peur, tristesse, colère, joie, effroi, étonnement…

Voilà qui donne sens à la limite des trois ans ! À part la marche, avant cet âge, l’enfant n’a pas acquis les compétences requises pour être exposé aux écrans. À partir de 3 ans, ces compétences sont encore balbutiantes, c’est la raison pour laquelle il est préférable qu’il soit accompagné et que les activités alternatives aux écrans soient favorisées.

Voir la plaquette éditée par la ville de Rennes : « Les petits et l’écran. Comment faire autrement ? »

Les limites en matière d’écrans sont indicatives

Tout comme la classification des œuvres cinématographiques, la signalétique appliquée à la télévision et à celle des jeux vidéo, il s’agit, avec la limite des 3 ans, de proposer des repères et d’alerter afin de favoriser une prise de conscience et une attitude réfléchie face aux écrans.

En parallèle, il y a lieu d’informer (c’est l’objet de ce blog), de développer des lieux de formation et d’encourager à des périodes de déconnexion comme le propose le Défi des dix jours sans écrans.

Les tout-petits face aux écrans ?

Mobiles, miniaturisés, faciles d’utilisation, les écrans investissent massivement les univers domestiques. De plus, lorsque les industriels mettent sur le marché des matériels et applications « soi-disant » adaptés aux tout-petits, la vie de ces très jeunes enfants se voit envahie par les écrans, ne laissant plus suffisamment de place aux expériences concrètes et aux interactions humaines pourtant essentielles au cours de cette période de la vie.

A la demande d’Adrien Taquet, Secrétaire d’État auprès de la Ministre des solidarités et de la santé, un comité s’est constitué avec pour objectif de proposer des recommandations relatives à l’exposition des moins de trois aux écrans. Ci-dessous, à lire et à faire circuler.

Construire des politiques publiques cohérentes pour la petite enfance et renforcer l’offre d’activités alternatives aux écrans, gratuites et sécures.

Le contexte

Le secrétariat d’Etat en charge de la protection de l’enfance souhaite se prononcer sur les recommandations que les pouvoirs publics doivent porter sur la place des écrans dans les activités des tout-petits. En 2008, le ministère de la santé puis le CSA avaient recommandé d’éviter les écrans avant 3 ans. Les associations d’éducation, de parents d’élèves, les associations familiales avaient soutenu cette recommandation qu’elles avaient d’ailleurs sollicitée. A l’époque, il s’agissait de réagir face aux discours commerciaux de chaînes « pour bébé » qui prétendaient que la télévision pouvait « muscler » le cerveau des bébés. Aujourd’hui les objets connectés, les interactions numériques avec les smartphones entourent le bébé dès sa naissance voire avant, et posent d’autres questions. 
L’avis de l’Académie des sciences du 17 janvier 2013, L’enfant et les écrans, encourageait l’usage des tablettes tactiles au motif qu’il « suscite[rait] l’éveil précoce des bébés », qu’il serait « proche de leur intelligence ». L’appel des trois académies du 9 avril 2019 à une « vigilance raisonnée sur les technologies numériques » met l’accent sur l’accompagnement parental. Le CSA renouvelle régulièrement ses campagnes de sensibilisation en demandant d’éviter les écrans avant 3 ans. 

En nous appuyant sur les données des sciences de l’information et de la communication, des sciences sociales, de la psychologie clinique, en nous appuyant sur les conférences réalisées sur de nombreux territoires auprès de parents, nous pouvons formuler quelques recommandations en vue d’une politique publique plus  proche des préoccupations des parents et qui tiennent mieux compte de leurs difficultés concrètes. 

Fractures sociales et technologiques dans la petite enfance  
Malgré les alertes en direction des parents sur les risques associés à une exposition précoce aux écrans, ces derniers demeurent trop nombreux à ne pas comprendre, au-delà de l’injonction publique, quelles peuvent être les conséquences d’un mésusage des écrans au cours de la toute petite enfance.

La relation des enfants avant 3 ans avec leurs écrans, qu’ils soient interactifs ou non, peut être problématique. L’usage précoce, de longue durée, sans encadrement ni accompagnement, de produits audiovisuels de médiocre qualité, a un effet délétère pour leur développement psychoaffectif et favorise plus tard la survenue d’éventuels troubles physiques, psychiques et du comportement. L’usage non raisonné des appareils numériques affecte également la relation précoce entre parents et enfants avec laquelle elle interfère sur un mode de pseudo présence vécue comme une absence, comme un délaissement, qui pourraient être le creuset d’une relation de dépendance aux écrans par la suite. Les tablettes, consoles, téléphones et autres appareils numériques ne devraient pas être utilisés comme tranquillisants pour simplement « avoir la paix ».
Par contre, un usage raisonné et accompagné, tenant compte de l’évolution des compétences de l’enfant, peut avoir un effet favorisant pour son langage et certaines compétences cognitives. 
Avant 3 ans, il est nécessaire que l’enfant acquière les compétences psychomotrices, affectives, cognitives et que son langage puisse lui donner les moyens de commencer à comprendre la situation médiatique dans laquelle il interagit.
Pour autant, les parents qui s’appuient le plus sur les écrans sont souvent en grande difficulté. Les médias viennent en effet sinon pallier du moins temporiser d’autres difficultés rencontrées : isolement, fragilité parentale, étroitesse des espaces privés, faibles ressources financières, spécificités culturelles, déracinement, etc. A contrario, les parents qui réussissent à éviter les écrans pour leurs enfants avant trois ans font preuve d’une grande détermination et disposent généralement de nombreuses ressources. S’appuyant sur une offre culturelle diversifiée, leur bonne connaissance des outils informatiques les amène à penser que limiter voire interdire les écrans ne nuira pas au développement de leur enfant, bien au contraire. Ils cherchent plutôt à développer son imagination, sa motricité, le plaisir des mots et du dessin… 

Apprentissage chez les tout-petits

La possible banalisation des écrans dans les toutes premières années de la vie des tout petits et leur naturalisation au sein de l’univers familial, nous font craindre un risque d’adoption de ces outils chez un nombre croissant de parents avec des conséquences qui pourraient être sévères pour le développement des jeunes enfants.

Entre  0 et 3 ans, l’enfant passe d’une dépendance absolue à ses parents à l’envie et au besoin de découvrir son environnement. Au stade oral, l’enfant met à la bouche les objets pour les comprendre. A deux ans, au moment où il devient capable de maitriser davantage son corps, il marche. Son univers s’agrandit, comme sa capacité à le verbaliser. Partagé entre la curiosité naturelle, l’esprit de découverte et la crainte d’un monde adulte bien grand pour lui, il requiert une attention constante de l’adulte et du temps pour explorer en toute sécurité ce qui se présente à lui. Son corps et ses cinq sens lui fournissent de précieux moyens d’interagir avec son environnement. Cet apprentissage sensori-moteur, si précieux, n’est pas possible avec les écrans, qui le privent d’une partie de ses moyens d’apprentissage. Les écrans (le plus souvent visionnés seuls) se substituent à la médiation d’un adulte l’accompagnant dans ses découvertes, les mettant en mots par ses commentaires. Le tout-petit ne peut pas non plus décider par lui-même d’éteindre les outils quand il se sent fatigué. 

Au-delà des écrans, l’enjeu des objets connectés pour les tout-petits

Aujourd’hui, une nouvelle préoccupation majeure doit tout autant nous alerter : l’arrivée de nouveaux produits et services connectés, souvent directement intégrés dans le matériel de puériculture utilisé par l’enfant (body connecté, sucette connectée…). On peut distinguer quatre grandes « classes » de produits et services répondant à des enjeux similaires aux écrans sur le plan du développement de l’enfant et de l’accompagnement des parents. Les deux premières, qui rassemblent les produits qui « préparent à l’école » et les « exhausteurs de créativité », sont plutôt bien identifiées. Les deux autres catégories sont plus nouvelles : les « quantified kids » (les « enfants mesurés »), comprennent l’ensemble des dispositifs ayant pour but de mesurer des données des bébés (température, battements du cœur, mouvements, sommeil…) et les « activités du quotidien » (surveiller, communiquer, calmer, favoriser une bonne hygiène, une bonne alimentation…). L’enjeu commercial porté par les grandes marques présentes sur ce marché ne doit pas l’emporter sur l’intérêt du jeune enfant. Ce monitoring à distance pose des questions de santé et de bien-être, mais aussi d’éthique : non seulement l’exposition du corps et du cerveau du bébé à des rayonnements radioélectriques ou à des ondes électromagnétiques est néfaste, mais en outre, ces objets recueillent ainsi des données personnelles dont la collecte et le traitement doivent être régulés, voire dans certains cas interdits.

10 recommandations pour limiter la place et les effets des écrans :

  1. Mieux accorder les discours publics entre eux dans tous les lieux d’accueil de la petite enfance.
  • Offrir aux parents de bébés des alternatives proches de chez eux, en particulier dans les quartiers populaires, des jardins d’enfants gratuits avec des espaces (sans écran) équipés de jeux, de matériel à dessin, d’initiation aux chansons dans lesquels ils peuvent se rendre avec leurs enfants. 
  • Etayer la communication autour de l’évitement des écrans, expliquer le caractère non souhaitable des écrans par le sentiment d’abandon qu’il provoque ; par la nécessité de développer le potentiel sensorimoteur du bébé et par le caractère irremplaçable des interactions enfants-parents, ou enfants-adultes.
  • Rappeler aux parents l’importance de raconter ou de lire des histoires à leurs enfants et de commenter la vie quotidienne.
  •  Développer des formations en direction des parents et des professionnels de la petite enfance qui rappellent l’importance des activités de motricité avec les tout-petits. D’autres informations seraient également nécessaires à développer auprès des parents, en particulier leur rôle dans la préservation des données personnelles de l’enfant et de sa vie privée, le fonctionnement des algorithmes de recommandation sur les plateformes de téléchargement. 
  • Réinterroger la question de l’autorégulation des jeunes enfants. Si l’éducation est un apprentissage au contrôle de soi, il ne faut pas non plus faire du contrôle de l’enfant par l’enfant un outil de régulation publique. En effet, bien des facteurs interviennent dans la capacité de l’enfant à s’autoréguler : son degré de maturité, la présence ou non d’adultes dans son entourage, la présence d’enfants plus âgés…
  • Prendre en compte les stratégies savantes des industriels visant à capter et conserver l’attention de l’enfant à son insu et à l’insu de ses parents. C’est pourquoi l’autorégulation ne peut constituer la seule et unique réponse aux problèmes de surconsommation  médiatique.
  • Travailler avec les industriels pour éviter l’intégration de tablettes dans les objets de puériculture.
  • Développer la concertation avec les éditeurs de jeux vidéo pour éviter les jeux ciblant les moins de 3 ans, et reconsidérer la durée des jeux pour les enfants de plus de 3 ans, afin que les activités soient courtes et programmées par défaut sans accès à Internet.
  1. Poser la question des contenus appropriés aux jeunes enfants aux diffuseurs de vidéos sur le web. Un dispositif de veille serait souhaitable, au même titre que pour les programmes télévisés. Il en est de même pour les applications de jeux accessibles par tablette et smartphone.
        
        C’est à la fois la question de la place des bébés dans une société vieillissante qui se pose, dans de nombreux lieux en France, la présence des enfants est mal supportée par les adultes, les outils technologiques sont alors utilisés pour capter leur attention et les rendre moins bruyants, du moins pendant l’activité. 
        C’est aussi celle d’un contexte sociétal où les contraintes de travail, les configurations familiales nouvelles rendent parfois plus difficile la présence à l’enfant. C’est enfin celle de la régulation des technologies et des plateformes numériques au nom de la protection de l’enfance qui est encore trop peu développée. 
        Cela dit, il est fondamental de rappeler que l’usage des écrans avant trois ans n’est pas souhaitable. Il y aurait certes à entreprendre des recherches interdisciplinaires pour compléter et approfondir les données dont nous disposons, mais en l’état actuel des connaissances, tout porte à croire que les enfants en bas âge exposés de manière inconsidérée aux écrans sont victimes de préjudices sévères déjà bien identifiés (troubles de la motricité, retards de langage, isolement affectif…). Le principe de précaution doit prévaloir et devrait être au cœur des prochaines politiques publiques.

Le comité Enfants et Ecrans

Claude ALLARD, pédopsychiatre,

  • Les désarrois de l’enfant numérique, Paris, Hermann, 2019 ;
  • « L’audiovisuel chez le bébé: du spectateur d’images au cyberbébé », Spirale n° 83 sept. 2017;

Elisabeth BATON-HERVE, docteure en sciences de l’information et de la communication, Consultante et formatrice Parents, enfants et médias,

  • « Le mésusage des écrans chez les enfants et les adolescents : l’éclairage d’une enquête qualitative auprès des professionnels de l’enfance et de l’adolescence », MEI 44 et 45, Santé publique et communication, p59-69, 
  • Grandir avec les écrans ? Ce qu’en disent les professionnels de l’enfance, Toulouse, Erès, à paraitre 13 février 2020.

Laurence CORROY, MCF HDR Université Paris 3, laboratoire CERLIS,

  • Education et médias : la créativité à l’ère du numérique, ISTE ed. ;
  • Utopies et médias de masse, avec Philippe Ricaud, ISTE ed.

Valérie-Inès DE LA VILLE Pr. Université de Poitiers, Directrice du Centre européen des produits de l’enfant.

  • Analyse de l’offre numérique destinée aux jeunes enfants de 0 à 6 ans, et typologie des objets connectés pour les jeunes enfants, avec le soutien de la Fondation de l’enfance, 2017 mis à jour 2019.

Christian GAUTELLIER, Directeur national des Cemea en charge des pôles Culture et Médias, directeur du festival international du film d’éducation, président du Collectif Enjeux e-medias, chargé de cours en Master, Centre européen des produits de l’enfant, Université de Poitiers.

Sophie JEHEL, MCF Université Paris 8, Laboratoire CEMTI,

– « Les médias dans les apprentissages informels de la petite enfance : inégalités des stratégies parentales face aux stratégies marketing des industries médiatiques » in Loicq M., Feroc-Dumez I., Cultures médiatiques de l’enfance, CJEM, 2018, accessible en ligne, http://jeunesetmedia.wixsite.com/jeunesetmedias.

– « Les tout petits et les écrans. Etude sur les attitudes des parents. » Enquête qualitative n°10, UNAF, décembre 2014.

– Activités de la petite enfance (0-3 ans) quelle place pour les écrans ? Rapport pour l’UNAF, 60 p, 2014.

– « Les paradoxes du numérique pour la petite enfance : vers un renforcement des écarts sociaux ? » Colloque international Bébé, petite Enfance en Contextes (BECO), Toulouse 15-17 mai 2019.

Valérie-Inès DE LA VILLE Pr. Université de Poitiers, Directrice du Centre européen des produits de l’enfant.

  • Analyse de l’offre numérique destinée aux jeunes enfants de 0 à 6 ans, et typologie des objets connectés pour les jeunes enfants, avec le soutien de la Fondation de l’enfance, 2017 mis à jour 2019.

Alexandra SAEMMER, Pr, Université Paris 8, Laboratoire CEMTI.

  • Rhétorique du texte numérique. Figures de la lecture, anticipation d’e-pratique, Presses de l’ENSSIB, 2015,
  • co-directrice avec S. Jehel, Education critique aux médias et à l’information, parution aux presses de l’ENSSIB prévue 2020.

Autres références

La Convention internationale des droits de l’enfant (1989) impose de faire prévaloir le droit au développement de l’enfant.Tout Etat signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant s’est engagé à faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3). Les articles 6 et 29 rappellent le rôle protecteur de l’Etat quant au développement de l’enfant.

La Charte de l’environnement (2004) garantit le droit de vivre dans un environnement respectueux de sa santé et le principe de précaution.

Berthomier Nathalie, Octobre Sylvie, « Enfants et écrans de 0 à 2 ans à travers le suivi de la cohorte ELFE», Ministère de la culture, 2019.

Gassama Malamine et al. « Activités physiques et usage des écrans à l’âge de 2 ans chez les enfants de la cohorte ELFE », INSERM, INED, décembre 2018.

Linebarger D.L. & Walker D., « Infants and toddlers’ television viewing and language outcomes », American Behavioral Scientist, 46 n° 10 (2004)1-22.

Mendelsohn A. L., MD; Berkule S. B.et al., “Infant Television and Video Exposure Associated With Limited Parent-Child Verbal Interactions in Low Socioeconomic Status Households”, Archives of pediatrics and adolescent Medicine, 162 (n° 5), 2008.

Reid Chassiakos Y., FAAP, Radesky J., MD, FAAP, Christakis D., FAAP, Moreno M. A., MSEd, MPH, FAAP, Cross C., FAAP, “Children and Adolescents and Digital Media”, American Academy of Pediactrics.  Pediatrics, Vol. 138, number 5, November 2016.

Richert R. A., Robb M. B.; Fender J., Wartella E., PhD “Word Learning From Baby Videos”, Arch Pediatr Adolesc Med. 2010;164(5):432-437.

Shifrin Donald et al., «Growing Up Digital. Media Research Symposium, American Academy of Pediatrics, octobre 2015.

Société Canadienne de Pédiatrie, “Le temps d’écran et les jeunes enfants : promouvoir la santé et le développement  dans un monde numérique », Pediatrics & Child Health, novembre 2017.

Turkle Sh., Alone Together, why we expect more from technology and less from each others, New York, Basic Books 2011.

Zimmerman F.J., Christakis D.A, “Children’s Television Viewing and Cognitive Outcomes”, Archives of pediatrics & adolescent Medicine, Vol159, N°6 june 2005.

Zimmerman F.J., Christakis D.A, The Elephant in the Living Room, Make Television Work for Your Kids, New York, Rodale, 2006.

Zimmerman F. J., Christakis, D. A., Andrew N. Meltzoff, “Television and DVD/Video Viewing in Children Younger Than 2 Years”, Arch Pediatr Adolesc Med. 2007;161:473-479.

Videographie :

Anne Georget, Une télé dans le biberon, Quark / ARTE France, 2010,  https://www.quarkprod.com/documentaires/une-tele-dans-le-biberon/.

Les 0-6 ans et les écrans : à Rennes une expérience innovante

Le programme Réussite Éducative de la ville de Rennes (Ille-et-Vilaine), sensible à la place prise par les écrans dans les familles, a souhaité conduire une action d’information auprès des parents, orientée vers les 0-6 ans.

Un partenariat avec une école maternelle (l’École des Gantelles)  s’est mis en place, soutenu par une démarche plus large auprès de la population pensée en amont entre l’animateur responsable du projet et des professionnels (spécialiste de la question des écrans, éducatrice de jeunes enfants…).

Lorsque l’on souhaite informer sur les rapports enfants-écrans, il n’est pas rare d’organiser des conférences ou des soirées-débats. Cela ne manque certes pas d’intérêt. Néanmoins, le projet s’est d’emblée établi sur un autre positionnement. La volonté initiale de l’équipe du programme Réussite Éducative est de rester proche de la population. C’est la raison pour laquelle les parents ont été invités à différentes rencontres appelées « causeries ».

Or, plutôt que de commencer par aborder la question des écrans, il s’est avéré plus judicieux de se référer aux besoins du tout-petit. Ce fut le thème d’une première causerie animée par une éducatrice de jeunes enfants.

C’est seulement ensuite, lors d’une seconde causerie, que l’usage des écrans chez les 0-6 ans s’est posé à travers toute une série de questions. Ces écrans répondent-ils vraiment aux besoins de mon enfant ? Quelles sont les compétences requises pour être exposé aux écrans ? A quel âge acquiert-on ces compétences ? Pourquoi commercialise-t-on des matériels et applications dits destinés aux jeunes enfants ? Avec quels arguments commerciaux ? etc.

Une troisième causerie sur le décryptage de la publicité a été animée par une maman qui, l’année précédente, avait bénéficié d’une formation dans un autre quartier rennais.

En parallèle, les enfants de l’école maternelle ont participé à différentes activités avec leur enseignante autour des écrans, notamment la réalisation de dessins. Cette enseignante a également reçu les parents dans sa classe afin d’échanger avec eux sur l’intérêt et les limites de la tablette numérique en dernière section de maternelle.

Un forum final ouvert à tous a permis de retracer le chemin parcouru, de rappeler les grandes idées développées, d’exposer les dessins des enfants et de prolonger les échanges.

Enfin, il est apparu essentiel à l’équipe animatrice de fournir un document écrit reprenant de manière synthétique les grandes lignes des réflexions développées tout au long du parcours. Un livret a ainsi été distribué le jour du forum et reste disponible sur le site Edu@rennes.

L’intérêt de cette expérience innovante est non seulement que cela a permis aux parents d’échanger entre eux, d’acquérir des informations et des connaissances, mais aussi de s’approprier ou de se réapproprier pleinement leur rôle ainsi que le plaisir d’être en relation avec leur enfant, et de faire des choses ensemble (voir les activités proposées à la fin du livret). N’est-ce pas le plus important ?

Bébés et écrans : une vidéo paradoxale !

Voici une vidéo pour le moins paradoxale. Diffusée par la Fondation pour l’enfance, elle semble avoir pour intention de signifier aux parents l’importance du jeu, du faire, et de la communication parents-enfant pour le tout-petit, activités sur lesquelles les écrans ne devraient pas empiéter.

En réalité le message véhiculé est très ambigu (voir ici). Notons tout d’abord qu’il ne fait aucune mention à la règle communément partagée par les professionnels de l’enfance et différents experts : pas d’écrans avant trois ans. En avril 2008 la Direction générale de la Santé émettait un avis selon lequel elle déconseillait la télévision aux enfants de moins de trois ans. Elle ajoutait qu’ « au-delà de trois ans, chez le jeune enfant, l’usage de la télévision doit être particulièrement prudent ». Nous disposons aujourd’hui de suffisamment de données pour considérer que cette recommandation doit s’appliquer à tous les écrans, quels qu’ils soient et quels que soient leurs contenus. Il y a là un enjeu majeur de santé publique.

Même si les petits bouts de chou mis en scène dans des situations de jeux manipulent les écrans à d’autres fins que celles pour lesquelles ils sont prévus, il n’empêche que ceux-ci sont omniprésents dans ce film. Et puis enfin, les écrans ne sont pas des jouets ! Au final ce que montrent les images est en porte-à-faux avec ce que disent les messages écrits qui les accompagnent. Exemple : « Apprendre à communiquer, c’est bien mieux avec les autres », « Avant, trois ans, communiquer c’est mieux avec ses parents ». Or, l’adulte est le grand absent du film en question. Les relations interpersonnelles sont importantes entre enfants, mais elles le sont tout autant avec les adultes de l’entourage lorsque ceux-ci accompagnent l’enfant avec bienveillance, l’encouragent dans ses activités et entrent dans des interactions langagières avec lui.

Par ailleurs, remarquons cet enfant qui réclame des chips à son père, via un smartphone : « papa je veux des chips ! ». Une demande pressante faite en criant et qui se trouve immédiatement satisfaite : une main adulte vient lui tendre un paquet de chips. Un des commentateurs de la vidéo sur YouTube remarque « les nutritionnistes apprécieront le coup des chips ». En effet ! L’absorption de chips par un tout petit représente 1) des risques nutritionnels, car comme chacun le sait, il s’agit d’un aliment particulièrement gras et salé, 2) des risques de fausse route, car faut-il le rappeler, la déglutition d’un enfant en bas âge n’est pas celle d’un adulte.

Dommage, les parents n’ont pas besoin de confusions supplémentaires tant ils sont déjà soumis à des injonctions paradoxales. La vidéo dont nous parlons est annoncée sous le titre « digital bébé », un tel énoncé pose en soi problème si l’on considère que l’enfant de moins de trois ans n’est pas concerné  par les écrans. Mais quelle est la véritable intention de la Fondation pour l’enfance : la protection des enfants ou la promotion des smartphones ? Sur son site elle affirme : « Pour garder contact avec ses proches entre bébé et sa famille éloignée physiquement, le contact se noue très bien via une application d’appel vidéo. Les smartphones servent aussi à rester en contact .» On croirait avoir affaire à un discours marchand ! (Pour les différentes déclinaisons du message voir « Bébé et écran : je fais comment ? »).

Lire aussi : Les tout-petits et les écrans ne font pas bon ménage

Des écrans pour les jeunes enfants ? mais que voient-ils ?

 

 

 

 

 

 

 

Des écrans pour les jeunes enfants… est-ce judicieux ?

 

Il y a encore quelques années, les jeunes enfants n’étaient pas concernés par les écrans. À l’origine, la télévision -puisque c’est le premier écran domestique que nous avons connu- ne concevait des programmes pour les enfants qu’à partir de 4 ans. D’ailleurs, les mesures d’audience ne s’attardaient pas à la tranche d’âge inférieure. Cela ne tombait absolument pas sous le sens de mettre les bébés devant la télévision. Lorsque l’enfant en bas âge croisait les images de la télé c’était plutôt accidentel, très ponctuel et cela ne portait pas à conséquences.

Comment se fait-il que de nos jours les tout-petits soient naturellement placés devant la télévision ? Comment se fait-il qu’on lui mette si facilement entre les mains smartphone et tablette ? Certes la société a changé, les moyens de communication aussi, mais les bébés ont-ils changé ?

A l’origine de ce phénomène une raison économique. Pour glaner une audience plus large, la télévision a commencé à s’intéresser aux plus petits en leur concoctant des émissions dites « adaptées ». Puis, la technologie aidant, on y a ajouté des produits et services divers : smartphones et tablettes accompagnés de leurs applications pour jeunes enfants. Des stratégies marketing bien étudiées sont venues à bout des résistances parentales. Il a suffi de quelques mots magiques comme « éveil », « éducatif », « spécialement adapté », « interactif » pour encourager l’achat de ces produits.

C’est dans ce contexte que nous sommes amenés à nous interroger sur la place des écrans dans la vie des moins de 3 ans et sur les conséquences d’une exposition précoce et prolongée aux écrans à cette étape particulière de la vie qu’est la petite enfance.

En réalité les enfants de moins de 3 ans n’ont pas besoin d’écrans pour se développer. Soyons rassurés, ils ne prendront pas de retard sur la technologie et sauront s’approprier ces outils de manière intelligente et appropriée lorsque le moment sera venu ! En revanche, si les technologies numériques s’invitent trop tôt dans leur vie et de manière trop importante, elle les prive des expériences sensorimotrices absolument essentielles à cet âge parce que fondatrices pour le petit d’homme. L’enfant expérimente et apprend par le jeu et par le biais d’un tas de petites activités qui peuvent paraître bien banales pour les adultes que nous sommes. Elles sont pourtant fondamentales pour la construction du cerveau et le développement psychomoteur. Construire une tour avec des cubes, emboiter-désemboiter, verser-transvaser, lancer une balle… sont autant d’expérimentations qui nécessitent adresse et réflexion. Or, les activités sur tablette ne sont pas substituables aux activités concrètes.

Certains écrans sont plus interactifs que d’autres me dira-t-on. Certes, mais de quel genre d’interactions parlons-nous ? Les interactions enfant-machine ne sont évidemment pas aussi riches et complexes que les interactions enfant-parent. La synchronisation des interactions humaines n’existe pas avec la machine (Dr L. Pagani). Par ailleurs la communication humaine immédiate est constituée d’un tas de micro-opérations destinées à s’ajuster à son interlocuteur. Le langage infra verbal, le regard adressé, l’attention conjointe se développent dans et par les communications avec l’entourage humain. La découverte par le tout-petit du monde qui l’entoure se fait grâce à ses multiples expériences, mais tout cela a besoin d’être étayé par l’adulte qui complimente, encourage, suggère… Il va sans dire que le temps passé sur les écrans empiète sur ces moments privilégiés.

Alors,  ne volons pas aux petits enfants cette étape fondatrice de leur vie ! Picasso disait qu’avant de vouloir peindre une figure abstraite il fallait savoir peindre un sujet réaliste. De même avant de communiquer de manière virtuelle, apprenons à l’enfant à communiquer par le langage dans une relation interhumaine immédiate bienveillante.

En matière d’écrans, les bons plis sont à prendre dès l’enfance !

« Les jeunes enfants et les écrans » était aussi le sujet de l’émission LES EXPERTS diffusée par Radio France Bleu Armorique ce 5 septembre.

 

Et voici un livre que j’ai découvert cet été :

« On n’a pas allumé la télé »

Je vous le conseille vivement !