Un séjour récent au Sénégal m’a permis de nouvelles rencontres et échanges autour de la question des écrans dans le quotidien des enfants et de leur famille. Moussa Diop, coordinateur d’une association socioculturelle avec un collectif de femmes organisées autour d’activités d’auto-développement, m’a invitée à partager avec eux le fruit de mes recherches et de mon expérience de formatrice dans ce domaine. En effet, au Sénégal, comme dans d’autres pays du continent africain, les écrans numériques se propagent à vitesse grand V, sans préparation, sans réflexion préalable, sans connaissance des différents enjeux de tous ordres qui traversent ces nouvelles technologies. « Il y a une banalisation qui est telle qu’aucune alerte ni inquiétude ne sont exprimées par les parents. Cette problématique ne fait pas encore l’objet d’une prise en charge sérieuse faute de spécialiste », m’écrivait-il avant ma venue.
Voici le témoignage qu’il nous livre suite à nos rencontres.
Vaincre la furie des écrans
Le monde se numérise chaque jour davantage. Les images distillées à travers les écrans multiformes présentent indistinctement aux différents publics des messages aux contenus dangereux, attentatoires au développement harmonieux de nos enfants et à notre vivre ensemble. De la tablette à l’ordinateur, en oubliant la télévision, le téléphone portable et d’autres, nous vivons un environnement numérique nouveau porteur de gros risques et de dangers. La dictature des écrans met presque tout le monde au pas. À travers des messages subliminaux aux contenus pas toujours neutres, les médias nous entrainent dans une spirale aliénante. Les bienfaits de la technologie numérique appliquée à tous les domaines de la vie ont certes contribué à faire faire à l’humanité de grands bonds en avant et ouvrent des perspectives salutaires. Ce qui ne doit pas nous obnubiler au point d’être des consommateurs zélés et captifs des offres des écrans. Combien sont-ils ceux qui sont victimes des écrans ?
En tous les cas il est constant au regard de notre quotidien que les écrans ont beaucoup d’influences sur les comportements individuels et collectifs et constituent un problème de santé publique. Au Sénégal, journellement, une image d’Épinal inquiétante capte l’attention de tout observateur : des enfants, jeunes et adultes qui marchent dans les rues, les écouteurs reliés à un téléphone portable, bien vissés dans les oreilles, les yeux rivés sur l’écran jetant parfois des regards furtifs autour d’eux. Ils croisent des personnes sans les voir, traversent la rue la tête ailleurs s’exposant à des accidents de la circulation. Certains encore, ne se faisant aucun souci, confortablement assis au volant de leur voiture équipée d’un écran, conduisent en consommant des images au péril de leur vie et de celle des autres. La part des écrans dans les accidents de la route n’est pas encore établie, cependant elle constitue une piste de recherche à explorer. Le tout numérique porte à conséquence, la victimologie par rapport aux écrans.nous révélera, sans doute, dans leurs justes dimensions, les conséquences désastreuses des écrans sur le mental, le comportemental, la morbidité et la mortalité.
Loin de nous toute idée noire gratuite sur les écrans. Il ne s’agit pas d’être technophobe ni de procéder à un procès d’intention, mais nous devons exercer notre droit de ne pas nous laisser surprendre et dépasser par de nouveaux fléaux résultant des écrans. C’est là où réside tout l’intérêt de l’excellent travail que mène Élisabeth BATON-HERVE sur les écrans. Elle a mis à profit son séjour au Sénégal, pour animer à Tivaouane, une ville située dans la région de Thiès, au profit des élèves des collèges, des enseignants et des parents une conférence et un atelier de formation sur les dangers des écrans. Ce fut deux moments forts durant lesquels elle a permis aux participants de renouveler leurs regards sur les écrans, d’avoir une posture critique et cerner les menaces induites auxquelles ils n’ont jamais fait attention. L’adage nous dit que « le pire ennemi c’est celui avec qui on vit et qu’on n’a jamais pris comme tel ». Or les écrans font partie de notre environnement. Élisabeth a délivré un message fort en nous entrainant dans les dédales labyrinthiques des écrans pour nous instruire sur les subtilités des contenus. Elle nous a livré les clefs pour lire et comprendre les messages subliminaux, leurs finalités manipulatrices implicites ou explicites.
Dans une démarche pédagogique participative, elle a mis en mouvement l’assistance amenant les uns et les autres à faire des témoignages. « Chez moi j’ai installé un WIFI pour faciliter la connexion. Je constate avec amertume que depuis lors il n’ y a plus d’échanges entre les membres de la famille. Chacun vit dans son petit coin complètement concentré sur son smarthphone. Nous sommes dans la même maison, mais on n’est plus ensemble ». Selon M. K, inspecteur de l’enseignement.
« Mon neveu s’est rebellé contre sa mère en détruisant certains mobiliers de la maison pour manifester sa colère parce que ses parents lui ont retiré sa tablette à cause de la baisse de ses notes à l’école » témoigne B.D. surveillant général dans un collège.
Les écrans, qu’on le veuille ou non, bousculent les parents et, à terme, risquent de les disqualifier dans leur rôle de protecteurs de leurs enfants. Ils portent ainsi un sacré coup à la parentalité si on n’y prend pas garde. Les parents sont interpellés et doivent refuser d’abdiquer face à la poussée envahissante des écrans. Ils ne doivent pas perdre leur autorité parentale et ont un droit fondamental d’exercer un contrôle sur les contenus pour préserver l’intégrité physique, morale et mentale de leur progéniture. Les parents sont appelés, comme le souligne, avec pertinence Élisabeth BATON-HERVE à exercer leur jugement sur les contenus à travers un filtre réceptif pour prévenir le pire.
Les pièges de la captologie et les risques d’addiction aux écrans constituent de nouvelles pathologies qui ne sont pas encore prises en compte pour sauvegarder le bien-être somatique, mental et social des populations.
Les véritables enjeux, dans un contexte où la dictature des écrans écrase et menace la quiétude des populations, c’est de travailler à « construire un monde numérique humanisé » pour reprendre la conclusion d’Élisabeth à la conférence devant des participants engagés. Ce qui passe nécessairement par des initiatives hardies qui positionnent une recherche-action sur les écrans à travers des coalitions fortes. La mise en réseau des porteurs d’enjeux face à la furie des écrans est une exigence qui mobilise l’énergie de tous et de chacun.
Moussa Diop
Tivaouane, Sénégal