Manon Collet, jeune médecin, a réalisé sa thèse de médecine sur l’exposition des enfants aux écrans en rapport avec les troubles du langage, travail pour lequel elle a obtenu le prix de thèse de Médecine « Professeur Pierre Gineste » 2017. Cette étude a été publiée dans le Bulletin épidémiologique de Santé publique France en janvier 2020.

Manon Collet a bien voulu répondre à mes questions.

Photo M. ColletVous avez réalisé votre thèse de médecine concernant l’influence des écrans sur l’acquisition du langage, pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Au cours de mon dernier stage d’interne de médecine générale effectué en cabinet de ville, j’ai été confrontée à l’accès aux écrans chez les enfants au sein même du bureau de consultation. Que ce soit un téléphone donné dans la poussette pour calmer l’enfant qui pleure, ou le jeune enfant ou adolescent les yeux rivés sur sa tablette ou smartphone alors même que la consultation le concernait. Ces nouveaux usages m’étaient inconnus et m’ont interpellée.

Une de mes maîtres de stage, qui était sensibilisée au sujet de la prévention des écrans m’a conseillée d’interroger systématiquement les enfants sur leur consommation d’écrans lorsque je les recevais pour des consultations de prévention comme lors des demandes de certificats sportifs. Ce thème des écrans et de leurs risques sur la santé n’avait jusqu’alors pas été abordé au cours de mes études. J’ai été très surprise du simple temps d’usage quotidien des écrans chez certains enfants.

Concernant ma pratique de médecin généraliste, j’ai trouvé intéressant d’aborder ce thème de la surexposition aux écrans par le prisme de son impact sur la santé des jeunes enfants et plus particulièrement sur le thème du langage. En effet le développement du langage est un des piliers du développement psychomoteur de l’enfant. Il s’agit d’un aspect très important à évaluer et à suivre en médecine générale.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons effectué une étude cas-témoin menée dans 24 communes d’Ille-et-Vilaine sur des enfants âgés de 3,5 à 6,5 ans. Entre juillet et octobre 2016, nous avons inclus dans l’étude 167 enfants cas qui étaient suivis par des orthophonistes pour des troubles primaires du langage. Cent neuf enfants témoins du même âge ont été recrutés chez des médecins généralistes d’une même ville ou pôle de santé, lorsqu’ils n’avaient pas besoin de suivi orthophonique.

Un questionnaire parental a été créé et distribué à ces 276 familles afin de collecter des informations sur l’enfant et ses habitudes de consommation d’écrans.

Les données ont ensuite été analysées par une statisticienne de l’hôpital de Pontchaillou à Rennes afin de rechercher des liens entre les différents types d’exposition aux écrans recueillis et les troubles primaires du langage.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Cette étude a montré qu’un enfant qui était exposé aux écrans le matin avant d’aller à l’école serait trois fois plus à risque de développer des troubles primaires du langage.

Un enfant qui ne discutait que rarement voire jamais du contenu visualisé sur les écrans avec ses parents serait lui deux fois plus à risque de développer des troubles primaires du langage.

Et nous avons montré un effet additionnel de ces risques, puisque lorsque l’enfant présentait ces deux facteurs combinés, le risque de développer des troubles primaires du langage était multiplié par six par rapport à un enfant qui n’était dans aucune de ces deux situations.

Quels conseils aimeriez-vous donner aux parents ?

Il est important d’apporter des conseils individualisés adaptés à l’âge et à la maturité de l’enfant, mais également aux connaissances et au ressenti des parents.

Mais d’une manière plus générale, j’aime beaucoup la règle des « 4 pas » proposée par la psychologue Sabine Duflo qui s’est inspirée des recommandations de l’académie américaine de pédiatrie. Car cette règle s’adapte à tous les membres de la famille et donc à tous les instants de vie. Elle est la suivante :

  • Pas d’écran le matin. Car l’écran va épuiser l’attention de l’enfant dès le matin, or il en aura besoin pour tous les apprentissages du reste de sa journée.
  • Pas d’écran pendant les repas. Car c’est un moment important à partager en famille. De plus si le cerveau est occupé par l’écran il ne se concentre plus sur son assiette et le sentiment de satiété sera retardé.
  • Pas d’écran avant de s’endormir. Car l’écran va stimuler le cerveau qui a pourtant besoin de redescendre en température et en excitation pour induire un sommeil réparateur.
  • Pas d’écran dans la chambre de l’enfant. Car cela échappe au contrôle parental que ce soit en terme de durée passée devant l’écran, que du contenu visualisé et du risque d’empiéter sur le sommeil.

Je rappelle également d’éviter l’accès aux écrans ou même la télévision allumée en bruit de fond avant 3 ans. Cette recommandation française est souvent connue des parents mais il est important qu’ils en comprennent la raison. Le jeune enfant a besoin de l’intéraction avec son entourage pour se développer, chose qu’un écran ne pourra jamais lui apporter.

Mais globalement il ne faut surtout pas oublier l’importance pour les parents de définir un cadre et des règles autour de l’usage des écrans, que ce soit en terme d’accès, de durée, de contenu. L’usage de l’écran, en dehors de certaines périodes de la journée à éviter, doit être vu comme une activité à part entière, qui ne prend pas la place d’autres activités, qui ne doit pas être là pour combler du vide, mais plutôt un moment de partage d’expérience en discutant du contenu visualisé avec son enfant.

À votre avis, quel pourrait être le rôle du médecin généraliste dans la prévention des conséquences sanitaires d’un mésusage des écrans chez les enfants et les adolescents ?

Les conséquences du mésusage des écrans sur la santé des enfants sont bien connus et ne sont plus à démontrer.  Le médecin généraliste, de part la relation de confiance qu’il noue avec ses patients a un rôle très important dans cette prévention. Il est en première ligne pour transmettre les informations aux jeunes parents, puisque la plupart du temps il a l’avantage de suivre le couple parfois avant le désir de grossesse, puis pendant toute la grossesse et lors du suivi régulier de l’enfant.

Des études ont montré que les habitudes de consommation d’écrans des parents influaient sur la consommation d’écrans de leurs enfants. Il est donc important d’initier cette prévention aux mésusages des écrans avant même la naissance du bébé pour inciter à adapter son mode de vie à la venue de l’enfant. De plus les consultations de suivi des premiers mois de vie sont des moments où beaucoup d’informations nouvelles sont données aux parents. L’information à l’écran à ce moment devrait être un message de rappel car s’il s’agit d’une information nouvelle, elle sera plus difficile à retenir.

L’information doit donc être régulièrement apportée aux familles, depuis le pré-conceptionnel jusqu’à l’adolescence et donc adaptée aux besoins et à l’âge de l’enfant, mais également de manière individuelle au vécu et aux attentes de la famille.

Un commentaire sur « Une thèse de médecine sur l’exposition des enfants aux écrans et les troubles du langage »

  1. Bravo Élisabeth. Notre experte québécoise sur le même sujet est Tania Tremblay. https://www.lapresse.ca/sciences/medecine/201805/08/01-5176960-les-ecrans-nuisent-au-developpement-du-langage.php

    https://plus.lapresse.ca/screens/aebd376d-eacf-4c83-a8ac-c959737ff0a9__7C___0.html

    https://qualitepetiteenfance.uqam.ca/infolettre-articles/422-tania-tremblay.html

    Merci pour l’entrevue avec Manon Collet. On avance.

    Jacques BRODEUR, Edupax, OSBL, Québec Éducation médiatique, Prévention de la violence, Promotion de saines habitudes de vie http://www.EDUPAX.org JBrodeuredupax@gmail.com Actualités pour une consommation médiatique éclairée / ACMÉ-Québec http://EDUPAX.ORG/ACTUALITES/PHP

    Le mar. 9 juin 2020 à 06:50, Les écrans numériques au quotidien a écrit :

    > ebatonherve posted: « Manon Collet, jeune médecin, a réalisé sa thèse de > médecine sur l’exposition des enfants aux écrans et les troubles du > langage, travail pour lequel elle a obtenu le prix de thèse de Médecine « > Professeur Pierre Gineste » 2017. Cette étude a été publiée da » >

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