Enfants, ados et écrans : l’État doit aider les parents !

En tant que pédopsychiatre, je vois ce que les smartphones font à la santé mentale des enfants – et c’est terrifiant.

Une pédopsychiatre britannique s'inquiète, dans cet article, des conséquences sévères qui résultent d'une fréquentation des réseaux sociaux par les jeunes, à un âge parfois précoce, et sans accompagnement. Selon elle le gouvernement devrait venir en aide aux parents.

The Gardian – Friday 3 January 2025

Emily Sehmer


Les ados seraient-ils victimes de ciblages de plus en plus invasifs via les réseaux sociaux ?

 Tik Tok, Twiter ou Threads, Snapchat, Instagram (et j’en passe !)… ces réseaux sociaux se voient concurrencés par de nouvelles applications toujours plus invasives.

Avec Instagram le jeune choisit l’image qu’il veut publier, partager. Au besoin il la transforme, lui applique des filtres, etc. Mais pour les concepteurs de Be Real, ces initiatives laissées à l’utilisateur diminueraient l’effet d’authenticité et de spontanéité. Qu’à cela ne tienne, Be Real promet d’offrir à l’adolescent l’opportunité de partager avec un groupe d’ami.es des photos avec plus de spontanéité, sans aucune retouche, à n’importe quel moment de la journée, quels que soient les lieux où ils se trouvent. Pour ce faire l’utilisateur reçoit une notification à une heure précise, mais jamais la même et il a deux minutes pour prendre une photo et la partager. Ajoutons à cela que cette photo à également la particularité d’être prise à 360°, caméra avant et caméra arrière.

Toutefois, derrière cette apparente simplicité et sincérité du partage, on ne peut évacuer les risques encore plus grands pour l’utilisateur de livrer des données très personnelles, voire sensibles, le concernant ou relatives à son entourage.

Ten Ten franchit un pas de plus en suggérant au jeune de transformer son smartphone en talkie-walkie version modernisée. Les ami.es ayant téléchargé cette application ont ainsi la possibilité de communiquer en tout lieu et à tout moment, sans avoir besoin de se connecter. Les messages audio ne nécessitent pas que l’appareil soit déverrouillé, ni même d’être décroché pour entrer en contact. Ainsi ce modèle fait fi de toutes les procédures habituelles qui permettent la communication à distance entre les individus.

Les générations précédentes des RSN se voyaient critiquer pour l’incitation à une réponse rapide, sans réflexion (messages likés, relayés, réponses impulsives) ;  celle à laquelle nous avons affaire aujourd’hui se passe de toute décision préalable de la part de l’utilisateur puisque le message lui arrive sans prévenir. « Chante, crie ou chuchote… tes amis t’entendront en temps réel…. » lui promet-on sur l’appli Ten Ten.

L’intrusion dans la vie privée, voire intime de l’adolescent et de son entourage est à même de livrer des données toujours plus fines et plus précises. Cette course aux données personnelles à valeur ajoutée va hélas « à l’encontre d’une démarche de maîtrise de sa vie numérique et de choix de connexion et déconnexion… » ainsi que le mentionne Internet Sans Crainte sur sa page consacrée à Be Real.

En effet la maîtrise passe par le choix laissé à l’adolescent. Elle passe également par une conscience de tout ce qui est partagé. Au contraire de ces deux dernières applications l’adolescent livre des données sur lui-même, mais pas seulement. Ce sont les univers dans lesquels il évolue qui sont captés : familial (restreint et élargi), scolaire, travail des parents, activités sportives ou culturelles, trajets, salles d’attente des maisons médicales et autres praticiens, etc.

Cela me conduit à proposer quelques indicateurs afin d’être en mesure d’évaluer les produits numériques à destination des adolescents

Quel lancement du produit ?

  • Qui en est à l’origine ?
  • Comment s’adresse-t-on à l’adolescent ?
  • Quels sont les arguments de vente ?
  • Quelles promesses sont mises en avant ?
  • Quel champ sémantique est utilisé ?
  • Quels relais sur les réseaux sociaux ?

Quelle autonomie pour l’adolescent ?

  • Part laissée
    • à son libre arbitre
    • à sa réflexion personnelle
    • à sa capacité à faire des choix
    • à son initiative
  • Facilité et clarté du paramétrage
  • Facilité de déconnexion et de désinscription ?
  • Quelle place accordée à l’entourage adulte ?

Ce sont-là quelques questions qui devraient permettre aux parents et aux adolescents d’échanger entre eux autour des enjeux des réseaux sociaux numériques : intérêts, opportunités, risques…

Une journée sans portable, pourquoi pas…

Une journée sans portable est une bonne initiative, car elle favorise une prise de conscience de la place importante que cette petite machine occupe dans notre quotidien. En revanche il ne faudrait pas qu’une telle journée nous dédouane d’une vigilance nécessaire les autres jours de l’année. Par ailleurs, il serait intéressant que cela nous conduise à une réflexion plus approfondie sur les enjeux financiers, sociaux et humains qui y sont associés.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, a convoqué un groupe d’experts pour plancher sur la question des enfants et des écrans. Nous nous réjouissons que cette préoccupation ait atteint les sphères gouvernementale puis présidentielle.

Toutefois s’il s’agit d’entendre une meilleure gestion de l’usage des écrans exclusivement de la part des jeunes et de leurs familles, on se trompe de plan. Une régulation plus rigoureuse et nettement plus contraignante serait aussi à envisager pour les plateformes et réseaux sociaux numériques qui s’adressent particulièrement aux enfants et aux adolescents. Car, c’est un fait, la modération y est notoirement défaillante et la protection des mineurs très insuffisante. Ne nous voilons pas la face, les comportements et attitudes des jeunes d’aujourd’hui vis-à-vis de leurs écrans sont lourdement conditionnés par les stratégies de captation de l’attention adoptées par les GAFAM et autres réseaux sociaux.

Les parents ont leur propre responsabilité c’est incontestable, mais les plateformes et RSN comme les sites de rencontres pour adolescents, TikTok, Snapchat etc., ont la leur et elle n’est pas moindre ! Le rapport de force est bel et bien en faveur de ces derniers. C’est aux pouvoirs politique et public de mettre tout en œuvre pour obtenir une meilleure équité dans la situation communicationnelle en cause.

Les adolescents face à l’économie numérique

« Les jeunes font partie des publics visés par les industries culturelles depuis l’après-guerre, mais avec les plateformes numériques, ils se retrouvent plus que jamais constitués en cible privilégiée. » nous explique Sophie Jehel dans son dernier ouvrage : « L’adolescence au cœur de l’économie numérique »

La démarche de recherche est originale car elle interroge la manière dont les plateformes numériques ciblent l’adolescence tout en soulignant l’absence de régulation des contenus que les jeunes usagers sont amenés à rencontrer.

Ce livre nous éclaire sur les stratégies déployées par les plateformes numériques auprès des adolescents pour stimuler leurs émotions et recueillir ainsi les traces affectives qu’ils laissent sur le net.

L’auteure s’appuie sur une recherche réalisée entre 2015 et 2018 auprès de 109 adolescents de 15 à 18 ans de milieux et d’origines diverses. L’écoute attentive de ces adolescents lui a permis d’étudier le travail émotionnel qui est le leur face aux images Violentes, sexuelles et haineuses (VSH) auxquelles ils se trouvent exposés.

« Sophie Jehel propose ainsi des pistes d’analyse claires et utiles à toutes celles et tous ceux qui veulent comprendre la singularité de la situation des adolescents dans l’économie numérique ou veulent s’investir dans l’éducation aux médias. » (4ème de couverture)

Pour aller plus loin :

Le coin des enfants, Barbatruc Émission de France Inter, Le coin des enfants

Les adolescents face aux images violentes, sexuelles ou haineuses sur Internet (1)

Les adolescents face aux images violentes, sexuelles ou haineuses sur internet (2)

Jacques Brodeur nous à quittés !

Jacques Brodeur, Montréal, novembre 2019

Jacques Brodeur nous a quittés, emporté en quelques jours par la Covid 19.

Ancien professeur de sport, Jacques Brodeur a toujours été soucieux de la santé et du bien-être des enfants et des adolescents. « L’éducation à la paix, aux médias, la prévention de la violence et le développement de saines habitudes de vie » étaient au cœur de son engagement.

Fondateur du Défi 10 jours sans écrans au Québec, puis en France, il était convaincu qu’il y avait urgence à promouvoir la réduction du temps-écran.

Il avait conscience que les grandes firmes internationales que l’on appelle GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), sont davantage préoccupées par la manne financière escomptée par leurs activités que par des questions d’ordre éthique et déontologique.

Le développement accéléré de la technologie numérique a entrainé un accroissement important d’écrans de toutes natures, accessibles à un âge de plus en plus précoce, avec des offres de contenus plus orientés vers le divertissement que vers l’éducatif. L’augmentation du temps écran qui en a résulté conduit les enfants à une surexposition avec des conséquences très préoccupantes : santé fragilisée, agressivité, harcèlement, baisse des résultats scolaires, etc.

Face à ces constats, il était convaincu qu’il fallait œuvrer pour encourager petits et grands à une réduction du temps d’écran. Le Défi 10 jours sans écrans est né de cette nécessité. Son site Edupax témoigne de ses nombreuses interventions ainsi que du dynamisme et savoir-faire qu’il y déployait.

Mais il ne s’est pas arrêté là, il a également été cofondateur de l’association Alerte écrans, des Chevaliers du web et a organisé de nombreux colloques.

Une de ses phrases clés était : « Les écrans pour servir, non pour asservir » !

Jacques Brodeur avait pour habitude de distribuer des bravos aux uns ou les autres lorsqu’ils contribuaient, à leur manière, à cette œuvre commune de prévention des effets néfastes des écrans. A notre tour, nous lui disons BRAVO JACQUES !

Carte des Défis réalisés en France
Colloque Montréal, novembre 2019