Cet ouvrage[1] réalisé sous la direction de Sophie Jehel[2] et d’Angélique Glozlan[3], présente une recherche sur la réception des images violentes, sexuelles et haineuses par les adolescents (VSH).
Quand, la recherche relative aux rapports des jeunes aux écrans tend à privilégier les études longitudinales, randomisées, l’intérêt de cette vaste contribution relève de son caractère interdisciplinaire. L’approche sociologique inscrite dans le champ des sciences de l’information et de la communication se voit complétée par la psychologie clinique. L’ensemble étant relayé par une réflexion sur l’accompagnement des adolescents (médiations adultes, dispositifs éducatifs).
À l’origine de ce travail, une enquête réalisée auprès de 190 adolescents entre 15 et 18 ans. Il s’agissait pour l’auteure d’ « étudier les stratégies [que les adolescents] développent au contact des images VSH qui circulent sur les plateformes numériques ».[4]
Malgré les annonces rassurantes des réseaux sociaux qui affirment exercer un contrôle des contenus pour la sécurité des adolescents, les images trash y sont fréquentes. Les entretiens réalisés avec les adolescents qui ont participé à cette enquête le confirment : « Les témoignages des adolescents mettent […] en évidence la fréquence de la diffusion d’images sexuelles explicites ou agressives sur leurs fils d’actualité ».[5] Or, 100 % des 12-17 ans sont internautes, et cela depuis un peu moins de 10 ans.
L’étude avait pour ambition d’entendre le vécu des adolescents et de comprendre les multiples attitudes qui sont les leurs, face à ces images, afin de mettre en lumière les facteurs de vulnérabilité qui interviennent dans la rencontre d’images violentes, sexuelles et haineuses.
Les adolescents face aux images trash : quels vécus ? Quelles expériences ?
Les rapports qu’entretiennent les adolescents avec les images, notamment (mais pas seulement) avec celles d’entre elles qui sont les plus violentes, sont habités par les expériences de l’enfance. « […] les adolescents ont le souvenir d’images qui les ont choqués ou leur ont fait honte […] note S. Jehel[6]. Ces éprouvés infantiles sont présents dans la rencontre des contenus médiatiques et des réseaux sociaux numériques.
Par ailleurs, tous les adolescents ne réagissent pas de la même manière aux images de violence, de haine ou à connotation sexuelle. S. Jehel identifie quatre grandes catégories d’attitudes. Pour autant elles ne sont pas exclusives les unes des autres et peuvent parfois se conjuguer chez un même individu.
L’adhésion : dans cette catégorie se retrouvent des adolescents fascinés par les images trash, ce qui les pousse à aller à leur rencontre sur internet. Ces jeunes ne font preuve d’aucune distanciation vis-à-vis des contenus auxquels ils s’exposent. Ils sont également en difficulté dans la mise en mots et en sens.
L’indifférence : Dans ce cas de figure, l’adolescent ne s’arrête pas sur ces images. Il en a déjà vu, elles sont nombreuses. Il éprouve un sentiment s’impuissance qui le pousse à passer son chemin. L’auteure y voit une mise en retrait à deux niveaux au moins : celui des émotions en tenant loin de soi les affects déclenchés par ces images ; celui de l’espace public sur lequel elles circulent et auquel il prend part en ne signalant pas, par exemple, les contenus à caractère choquant, qui mériteraient d’être supprimés.
L’évitement : certains évitent les représentations de très grande violence, car ils ne souhaitent pas être confrontés à l’horreur. D’autres vont opter pour des stratégies d’évitement face à des types de contenus précis : les informations jugées démoralisantes ou encore les spectacles pornographiques, notamment chez certaines jeunes filles influencées par leur culture religieuse.
L’autonomie : Les adolescents qui répondent à ce profil font preuve d’un certain recul critique. Ils sont capables d’analyse (contextualisation, intentions de l’auteur, construction du message…). Ces facultés se retrouvent dans les conversations qu’ils peuvent avoir à ce propos avec leur entourage. C’est plus particulièrement dans cette catégorie que l’on retrouve les jeunes internautes en capacité d’intervenir comme éléments régulateurs des plateformes.
Cette recherche démontre également l’influence des milieux sociaux dans la manière d’appréhender et de traiter les contenus et représentations véhiculés par les médias et les plateformes numériques.
Dans les milieux plus favorisés, les adolescents ont été plutôt protégés des risques associés aux écrans. La médiation parentale y est mieux assurée et les jeunes issus de ces milieux disposent de connaissances qui leur permettent de développer un raisonnement critique.
Dans les milieux dits « populaires » le rapport des adolescents aux RSN est très ambivalent. S’ils ne sont pas sans méfiance face aux contenus télévisuels qu’ils fréquentent (séries, émissions de télé-réalité ou informations) ils n’en font pas moins un usage important.
Les jeunes en situation de grande vulnérabilité au profil psychologique plus fragile sont à la recherche de contenus qui renforcent leur besoin de toute-puissance et légitiment une certaine forme de marginalité.
D’autres facteurs interviennent, les valeurs culturelles partagées, la présence ou non d’adultes cadrants, les relations interpersonnelles avec l’entourage constituent également des éléments de contexte qui influencent la réception des images trash.
Les données recueillies grâce à cette enquête nous procurent un éclairage inédit sur les expériences adolescentes relatives aux images violentes, sexuelles ou haineuses qu’ils rencontrent dans les médias et sur les plateformes numériques. Elles constituent par ailleurs un socle de connaissances fiables susceptibles d’inspirer les pouvoirs publics d’une part, la société civile d’autre part (dont parents et éducateurs) pour un accompagnement pertinent de ces jeunes dans l’univers des écrans et particulièrement des plus vulnérables d’entre eux.
[1] JEHEL. S., GOZLAN. A., (dir.), Les adolescents face aux images trash sur internet, éditions In Press,2019.
[2] Sophie Jehel est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8 et chercheure au CEMTI.
[3] Anglique Gozlan est docteure en psychopathologie et psychanalyse, psychologue clinicienne, chercheure associée à l’Université Paris 7 et Lyon 2.
[4] P. 29
[5] P. 30.
[6] P. 57.