Que la famille soit « chouchoutée » par la télévision n’a rien d’étonnant. N’est-elle pas le lieu de prédilection de la consommation quotidienne ? Sur le petit écran l’alliance diffuseurs, producteurs, annonceurs face à l’entité « famille » se décline de multiples façons : publicités, séries, jeux, téléréalité, etc. Arrêtons-nous, l’espace d’un article, sur Super Nanny, émission de téléréalité créée et diffusée au Royaume-Uni, dont le concept a été repris et adapté en France par M6 en 2004 puis par NT1 pour y être diffusée à partir de 2013.
Sylvie, la super Nanny de NT1 vient au secours de parents en difficultés dans leur fonction parentale et prétend aider la famille à se reconstruire autour des règles qu’elle va proposer.
Comme toute émission de téléréalité, chaque épisode est structuré de façon identique :
- Présentation de la famille et de ses difficultés: il s’agit le plus souvent de parents dépassés, d’enfants qui ne savent pas obéir, d’absence de communication ;
- Super Nanny observe: l’éducatrice professionnelle appelée à la rescousse s’immerge dans la famille et à l’aide d’une tablette et d’un bloc note prend acte des problèmes qui se posent ;
- Super Nanny intervient: elle réunit la famille et lui présente les nouvelles règles qu’elle a instituées pour un meilleur fonctionnement familial ;
- Super Nanny s’éclipse: en son absence, la famille s’attache à suivre ces règles ;
- Super Nanny recadre: des progrès sont observés, mais quelques défaillances restent encore à corriger ;
- Conclusion positive: Super Nanny peut s’en aller, car tout est rentré dans l’ordre, la situation de cette famille est à présent satisfaisante.
Pour le sociologue François Jost, Super Nanny est comparable à une fée. Elle vient, à coup de baguette magique, rétablir une situation initialement perturbée. Toutefois, la comparaison s’arrête là, car, contrairement aux contes traditionnels, l’émission Super Nanny n’ouvre aucunement sur un imaginaire qui laisserait toute sa place à la créativité et à la recherche du sens que chacun peut vouloir donner à sa vie. Bien au contraire, sur un canevas immuable, les échanges entre les protagonistes, interventions de cette pseudoéducatrice télévisuelle et commentaires de la voix off semblent, d’émission en émission, se répéter inlassablement.
Cette absence de créativité propre à la téléréalité se repère non seulement dans la structure de l’émission, mais aussi aux nombreux clichés qu’elle véhicule. Les parents sont démissionnaires, ils ne savent pas se faire respecter, n’assument pas leur autorité et sont esclaves de leurs enfants. Ces petits derniers n’en font qu’à leur tête, ont les pleins pouvoirs, n’obéissent pas et font la loi. De même, les termes employés par Super Nanny sont lourdement connotés : elle se dit « effarée » et juge souvent la situation « catastrophique ». Les mots et expressions utilisés par la voix off surfent tout autant sur le registre dramatique : colères, crises de nerfs, contradictions, drames…
Alors bien sûr, face à ce « champ de bataille » constaté par une Super Nanny abasourdie, des règles de bonne conduite s’imposent à tous les membres de la famille. En un sens, ce n’est pas seulement l’éducation des enfants qui est visée, mais aussi celle des parents. Ces « incapables » ont droit tout à la fois aux remontrances de Super Nanny, à sa compréhension et à ses félicitations. Une infantilisation des parents qui pose problème dans une émission qui les enjoint d’assumer leur responsabilité.
Dans un travail universitaire consacré à cette émission, des étudiantes de l’Université Paris 8 observent : « Elle [Super Nanny] peut être amenée à avoir des gestes affectifs envers eux [les parents]. Ces étudiantes relèvent un exemple éloquent : « Super Nanny est légèrement inclinée (comme pour se mettre à la hauteur d’un enfant) et tient le menton de la mère. »[1] Les règles (mais elles s’apparentent davantage à des recettes) exposées par Super Nanny à la famille visitée sont, par la même occasion, présentées plein écran aux téléspectateurs supposés les prendre à leur propre compte.
Selon la psychanalyste Claude Halmos, « Super Nanny pose un problème éthique. L’émission donne l’image de mauvais parents devant la France entière. C’est monstrueux pour leurs enfants qui risquent d’être l’objet de moqueries à l’école. Or, l’image des parents est très importante pour aider un enfant à se construire. »[2]
Cette émission de télé-réalité laisse entendre aux téléspectateurs qui la regardent qu’une simple observance des règles édictées par Super Nanny suffirait à résoudre toutes les difficultés familiales et les conflits qu’elles engendrent, rien de tel en vérité. Chacun le sait, dans le domaine de l’éducation, il n’existe pas de recette intangible et immuable.
N’oublions jamais qu’une émission dit ce qu’elle est à travers ce qu’elle montre, mais aussi à travers ce qu’elle ne montre pas. L’émission Super Nanny donne-t-elle à réfléchir sur les raisons des situations familiales exposées ? Permet-elle aux parents d’examiner en profondeur leurs attitudes respectives ainsi que les comportements de leurs enfants ? Favorise-t-elle une prise en compte de la singularité de chacun et de la complexité des facteurs à l’œuvre ? Intègre-t-elle le désarroi psychique qui est parfois à la source des dysfonctionnements constatés ? Fait-elle référence au travail des professionnels qui œuvrent quotidiennement, en toute discrétion, auprès des familles et des enfants ? Non, non, et encore non !
La télévision n’est pas avare de leurres pour capter son audience. Sous prétexte de venir en aide à des familles en difficulté, elle fait étalage de leur vie privée, de leur défaillance et vulnérabilité. «La succession des plans dans le générique de début rend compte de l’artificialité de l’émission en mettant en scène des enfants dans des décors témoins (jardin, salon, chambre, cuisine, salle à manger…). Cela peut donner l’impression de feuilleter un catalogue de meubles en kit (Ikéa, Conforama…)» remarquent fort justement les étudiantes citées plus haut. N’est-ce pas là la véritable raison d’être de l’émission Super Nanny ?
Nous sommes donc en présence d’une chaîne qui est à la recherche de retombées financières, de parents, sans doute déboussolés, mais aussi tentés par un passage à la télévision. Qu’en est-il des enfants ? Où est leur intérêt ? Ne risquent-ils pas de pâtir de cette surexposition médiatique qu’ils n’ont pas choisie ? Qui s’en inquiète véritablement ?
[1] Analyse de super Nanny, approche croisée – jeunes et communication, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, année 2015.
[2] C. DIDIER, « Super Nanny infantilise les parents », Le Parisien, janvier 2007.
Un commentaire sur « Familles et télévision, l’exemple de Super Nanny »