La publicité est partout : dans les rues, dans les rames de métro, les halls de gares ; dans les magazines, sur les écrans de télévision, au cinéma, sur Internet, dans les jeux vidéo, dans les compétitions sportives, etc. Chaque citoyen est un consommateur potentiel pour les grandes marques qui ont les moyens de s’offrir des supports aussi nombreux que diversifiés.
Or, l’une des spécificités de cette communication réside dans sa direction : à sens unique, et dans l’absence de consentement effectif du récepteur. Quel que soit son âge, son milieu social, son lieu de résidence, le destinataire ne peut échapper à cette multitude de messages commerciaux. Même s’il ne les sollicite pas, s’il ne les désire pas, ils s’imposent à lui, de fait. La relation marchande dans laquelle il se trouve involontairement introduit est par essence déséquilibrée puisque hormis le fait qu’il n’en est pas à l’origine, il ne possède aucun moyen concret de pouvoir l’éviter. Le problème se complique lorsque les enfants sont en cause. La société demande beaucoup aux parents et les chargent d’une responsabilité très lourde. Combien de fois n’a-t-on pas entendu et lu par rapport à l’influence des écrans et notamment de la publicité : « c’est aux parents de faire attention ! ». Toutefois certains messages véhiculés dans l’espace social vont à l’encontre des repères éducatifs que ceux-ci tentent d’inculquer à leurs enfants. C’est précisément le cas lorsque les messages publicitaires viennent heurter de plein fouet les convictions, morales, religieuses, ou tout simplement les références culturelles des uns et des autres. Que dire de ces panneaux publicitaires à écran LCD équipés de capteurs faciaux sur lesquels sont diffusées des publicités animées et évolutives ? À nouveau les citoyens n’ont pas la possibilité de refuser ces capteurs faciaux, ils n’ont pas davantage la capacité d’éviter l’exposition de leur enfant à des messages pouvant leur apparaitre comme potentiellement préjudiciables.
L’espace familial est-il plus favorable à une maitrise parentale des messages publicitaires ? Rien n’est moins sûr. Il suffit de se pencher sur les programmes télévisuels destinés au jeune public. La publicité s’immisce aussi bien entre les dessins animés qu’à l’intérieur même de ces derniers. Malgré la vigilance exercée par le CSA, les analyses de ces programmes enfantins révèlent des pratiques déloyales, voire même proscrites. Or si elles échappent à l’instance de contrôle, c’est qu’elles peuvent être insidieuses et difficiles à débusquer[1], « Pas vu pas pris »[2] comme le suggère le titre d’un documentaire de Pierre Carles.
La construction même des programmes jeunesse est élaborée en vue de susciter la confusion entre les fictions animées qui font l’objet de programmation et les publicités qui les entourent. Les marques de passage (génériques, indicatifs publicitaires) sont singulièrement réduites, voire gommées à la seule fin que l’enfant ne soit pas en mesure de différencier la publicité des dessins animés. Les spots publicitaires se présentent eux-mêmes comme de courtes fictions animées achevant ainsi la confusion des genres dans l’esprit du jeune téléspectateur. Certains d’entre eux s’inscrivent dans une pratique totalement déloyale vis-à-vis de l’enfant et de ses parents, à l’exemple de cette publicité pour une application de smartphone payante. La mention « demande l’autorisation à tes parents » est bien présente, mais elle est insérée en petits caractères et défile à une vitesse accélérée ce qui n’en permet aucunement la lecture[3]. Quoi qu’il en soit, un grand nombre de dessins animés servent de faire-valoir aux marques présentes sur le marché des 4-10 ans. Tel cet épisode de Garfield dans lequel une séquence introductive présente le personnage de la série éponyme en train de regarder la télévision en mangeant des céréales dans un grand bol. Lui et son compagnon s’adressent directement aux téléspectateurs en ces termes : « Il n’y a rien de mieux dans la vie que de s’installer confortablement devant sa télévision en mangeant un délicieux petit encas », (phrase répétée deux fois). Ce message, loin d’être anodin, introduit deux types d’attitudes contestables : regarder la télévision plutôt que de s’adonner à des activités sportives ou créatives, manger en grande quantité un produit alimentaire qui s’apparente aux céréales des grandes marques vendues dans les supermarchés. Notons-le, ces comportements prônés dans la fiction vont à l’encontre des recommandations émises par le Programme National Nutrition Santé « Manger Bouger » et introduisent un risque pour la santé de l’enfant.
Ces exemples, rapidement présentés, démontrent encore le rapport de force déséquilibré entre des annonceurs disposant de moyens financiers importants associés à des publicitaires et diffuseurs, et des parents, le plus souvent entretenus dans la méconnaissance de pratiques publicitaires et marketing extrêmement sophistiquées. Les sites internet et autres applications destinées aux enfants nécessitent de même une grande vigilance de la part des parents et des éducateurs.
Le législateur comprendra le désarroi des parents soucieux du bien-être de leur enfant et désireux de le voir grandir dans un monde qui le respecte. Dans le contexte d’une société ouverte à la publicité sans réglementation rigoureuse, le plein exercice de la parentalité est-il possible ? N’est-il pas nécessaire et important de rétablir un rapport de force équitable entre les acteurs marchands et la société civile ?
[1] BATON-HERVE E., Les enfants téléspectateurs, programmes, discours, représentations, L’Harmattan, 2000 – Enfants et télévision, une affaire de famille, L’Harmattan, 2005.
[2] CARLES P., « Pas vu pas pris », série documentaire sur les médias en trois volets, 1998
[3] https://elisabethbatonherve.com/2016/11/03/publicites-pour-enfants-parents-soyez-vigilants/
Texte écrit à l’occasion du procès d’une jeune maman ayant écrit « Gare à la pub » sur un panneau publicitaire : http://www.deboulonneurs.org/article743.html