Léna est en vacances … elle vous invite à lire ce poème qu’elle a composé pour ce blog.
Merci Léna !
Le point de vue d’une psychologue
Comment gérer les écrans dans l’univers familial ? Pour Sabine Duflo, psychologue clinicienne, au-delà des catégories d’âges, toujours compliquées à appliquer dans les familles nombreuses, il existe des repères simples qu’elle nous livre ici. Entretien.
L’exposition des enfants aux écrans nécessite-t-elle qu’on tienne compte de leur âge ? Pourquoi ? Pourriez-vous nous donner quelques repères ?
La réponse est oui. Il est évident qu’il faut tenir compte de l’âge tout simplement parce que les capacités de compréhension et de représentation ne sont pas les mêmes à 3, 6 ou 12 ans. C’est donc extrêmement important. Il faut évaluer ces compétences, variables suivant l’âge et entre les enfants de même âge, avant de les exposer aux écrans.
Concernant les tous petits (2 à 5 ans), il existe un repère assez simple : c’est le niveau de langage de l’enfant. L’enfant doit pouvoir raconter ce qu’il a vu. Quand l’enfant ne peut pas le faire, il ne peut pas non plus se représenter ce qu’il a vu. L’image alors risque de faire effraction et de créer des excitations qui se traduiront dans la journée par de l’agitation ou par des réveils nocturnes, des cauchemars. Lorsque le petit enfant vient de regarder un dessin animé (quelque chose évidemment d’adapté) on lui demande : « raconte-moi ce que tu as vu ». Certains enfants sont capables de mettre en mots ce qu’ils ont vu, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de mal à retrouver la narration de l’histoire, d’autres en sont incapables.
C’est un repère important à avoir à l’esprit parce qu’on a affaire actuellement à des dessins animés (pokemon, Tortues Ninja, Power Rangers), en particulier pour les 6-7 ans, avec une succession accéléré de plans. L’enfant est capté par ces images qui vont très vite, par une bande son changeante et souvent stressante. Leurs sens sont captés mais l’aspect narratif est passé de côté. Ces dessins animés ultra rapides comportent souvent une narration assez pauvre. Bermejo Berros[1] les qualifie de « dénarrativisants » c’est-à-dire qu’ils suppriment cette possibilité de mettre en mots et sur-stimulent l’attention primaire au détriment des capacités internes de mise à distance de l’image et de représentation. Il faut pouvoir demander à l’enfant de raconter. Ceux qui ont été habitués très tôt à beaucoup d’écran, avec des films d’animation trop rapides ne sont souvent pas capables de raconter ce qu’ils ont vu et d’introduire une temporalité. Ils ne sont pas capables de distance. Et cette distance est essentielle car elle permet de penser ce qui a été perçu, de passer d’une attitude passive à un comportement actif.
Une autre compétence importante à acquérir est la distinction entre le réel et le virtuel. On fait actuellement comme si cette distinction était là d’emblée. Ce n’est pas vrai, cette compétence n’est pas innée mais acquise, et chez l’enfant bien portant elle ne l’est que vers 12 – 13 ans. C’est pour cela qu’exposer des enfants à des images violentes, des contenus inadaptés provoque un stress émotionnel intense et difficilement réversible De nombreux enfants aujourd’hui sont exposés à des contenus inadaptés de films, de jeux vidéo, et s’en vantent dans les cours d’école mais ils ne disent pas qu’ils ne parviennent pas à s’endormir seuls, qu’ils ont peur de rester seul chez eux ou même de jouer seul dans leur chambre.
L’introduction de la 3D, très prisée par les producteurs de film d’animation, augmente l’effet de réalisme de l’image : on a l’impression que les personnages sortent de l’écran et bondissent vers vous. Actuellement on ne possède pas de recul sur les effets de cette technique sur le cerveau encore immature des jeunes enfants. Mais on a tout lieu de penser que ce qui vaut pour les films classiques est valable, de façon majorée, avec les films en 3 D. Dans le domaine de la maturation affective, on ne peut pas sauter d’étapes ou alors si on le fait c’est au détriment de l’enfant. Etre exposé trop tôt et de manière répétée à des films ou jeux vidéos aux contenus inadaptés, ne vous rend pas plus courageux, plus fort ou plus indépendant. Les études comme les observations cliniques montrent l’inverse. Cela rend l’enfant plus peureux, plus impulsif, et plus suggestible…
Qu’en est-il des supports ?
Ce qui est déterminant c’est le format : transportable ou non et le lieu où se situe l’écran. Lorsque la télévision est dans le salon, le contrôle parental reste encore possible, si la télé est dans la chambre de l’enfant, il est impossible.
Quand l’écran peut se glisser dans la poche sous la forme du Smartphone avec accès illimité à internet le contrôle parental est impossible aussi.
En ce qui concerne la tablette ?
Pour les tous petits on ne dispose pas de recul. La seule chose que j’observe c’est que les parents sont trop facilement séduits par l’argument de vente selon lequel ils retrouveraient en un même objet tous les jeux éducatifs habituels. C’est faux parce que le développement de l’enfant entre 0 et 3 ans est essentiellement sensori-moteur. C’est-à-dire que l’enfant s’approprie le monde en touchant, en sentant, en mettant à sa bouche les objets qui le constituent. Il découvre les objets et acquiert une maîtrise sur eux en les manipulant. Or la tablette ne stimule que deux sens : l’audition et la vision. Prenons l’exemple du puzzle. On a de plus en plus de gamins totalement incapables de faire des puzzles de 15 pièces à 3-4 ans. Les parents disent que sur la tablette ils y arrivent très bien. Sauf qu’avec la tablette c’est beaucoup plus simple. Il suffit de faire glisser les pièces et elles vont se placer d’elles-mêmes. Même chose avec le coloriage : l’apprentissage du geste graphique, le contrôle toniquo postural s’acquièrent de façon plus ferme avec un crayon qu’avec le stylet de la tablette car si l’enfant déborde, la machine corrige aussitôt. Et il en est ainsi de beaucoup d’autres jeux sur écrans où c’est la machine qui corrige, voire anticipe les difficultés de l’enfant. C’est pour cela aussi que c’est un support très apprécié des enfants.
L’autre aspect c’est le temps volé à d’autres activités. On voit de plus en plus de très jeunes enfants (2, 3 ans) arriver en consultation, envoyés par la crèche ou la halte garderie pour ce qu’elles qualifient de retard, voire de troubles autistiques. Le langage en effet est quasi absent et pas dans un registre de communication, l’enfant ne s’intéresse pas aux jouets, aux objets ou s’il le fait c’est de façon fugitive ; il regarde très peu l’adulte, il est dans une agitation permanente. Mais quand on voit ce type d’enfant seul, on s’aperçoit surtout qu’il a été mal stimulé. Et si l’on conseille aux parents de supprimer les écrans, de prendre le temps de jouer avec l’enfant, d’être avec lui, et aussi de tolérer que leur enfant s’ennuie, les choses se remettre en place progressivement. Et les parents gardent ces habitudes parce qu’ils sont contents des résultats obtenus.
En conclusion ?
Il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas faire l’impasse. Ce sont notamment ces repères relatifs aux moments de la journée. C’est pour cela que j’ai mis au point une petite règle que j’appelle « la règle des 4 pas » : pas d’écran le matin car c’est le moment où l’attention est la plus forte, pas pendant les repas familiaux parce que ça nuit aux échanges, pas avant de se coucher, ça fatigue l’enfant et ça perturbe son sommeil et pas dans la chambre d’enfant.
Je pense que si on veut que la génération à venir devienne maitresse des écrans, et non pas dépendante d’eux, il faut paradoxalement limiter au maximum leur présence dans la vie de l’enfant afin de lui permettre d’acquérir une compétence essentielle à son humanité : la capacité à penser par soi même.
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[1] BERROS B., Génération télévision. La relation controversée de l’enfant avec la télévision, De Boeck, 2007
Et :
BATON-HERVE E., Grandir avec les écrans ? Ce qu’en pensent les professionnels de l’enfance, éditions érès, 2020
DUFLO S., Quand les écrans deviennent neurotoxiques, éditions Marabout, 2018
Mis à jour le 18 novembre 2020
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